
Permettez-moi tout d’abord de vous dire que c’est pour moi une joie et un honneur que d’être parmi vous aujourd’hui et de représenter le Président du B’nai B’rith France, Serge Dahan.
Il vous prie de bien vouloir l’excuser de ne pas avoir pu venir ouvrir ce colloque alors qu’il se rend aujourd’hui même en Israël, avec une délégation du Crif, pour rencontrer les autorités du pays et leur apporter un message de solidarité des juifs de France dans le climat difficile que l’on sait, notamment à Jérusalem.
Je salue la Présidente du B’nai B’rith Rhône-Alpes, Nicole Elbaz, et félicite en particulier Claude Lévy, Solange Levy et David Barré, qui ont organisé ce 7ème colloque des intellectuels sur le thème des « juifs pendant la grande guerre », qui s’annonce passionnant.
Je voudrais enfin remercier tous les intervenants de cette journée pour leur présence. Ils nous offriront la richesse de leurs analyses et de leurs témoignages.
Ce sujet des « juifs pendant la grande guerre » me tient particulièrement à cœur.
En tant que juif alsacien, ayant reçu en héritage cet amour de la France et du judaïsme, ce thème a nourri tant de discussions durant mon enfance et a façonné une partie de mes réflexions et de mes actions.
En tant que militant dans différentes institutions communautaires, je mesure l’importance que revêt aujourd’hui, dans le contexte que nous connaissons, le rappel de l’appartenance des juifs à la nation, leur apport à l’histoire de ce pays et leur contribution à sa grandeur.
Enfin, en tant que membre du B’nai B’rith, fier de ses valeurs de fraternité, d’humanisme et de solidarité, ce comportement exemplaire des juifs durant la grande guerre est une référence qui guide une certaine façon d’agir pour sa communauté et pour son pays, et qui imprime une éthique, une morale et une conduite de chaque instant.
Mais au-delà de mon intérêt personnel pour ce sujet, c’est peu de dire que le thème des « juifs pendant la grande guerre » est important.
Important, car il constitue une page essentielle de notre histoire, en tant que juif et français, qui a pu parfois être éclipsée par l’horreur de la Shoah qui l’a suivie de près. Sa connaissance et sa transmission sont essentielles à l’heure où presque tous les derniers survivants ont disparu.
Important, car il permet, 100 ans plus tard, de tirer des leçons majeures de cette page de notre histoire, et de fournir des éléments de réponses importants dans la France d’aujourd’hui, face à la résurgence du poison antisémite.
Je voudrais débuter cette introduction au colloque par quelques rappels historiques.
N’étant pas historien, ils resteront bien entendu sommaires. Les spécialistes présents avec nous y reviendront tout au long de la journée, avec bien plus de connaissances et de détails.
Les « juifs pendant la grande guerre », c’est avant tout l’histoire d’un engagement exceptionnel.
Soulignons ici le travail remarquable fait par Philippe Landau, historien et Conservateur des Archives du Consistoire, pour rendre compte de cette période.
Les juifs français ont avant tout la volonté de manifester « leur patriotisme républicain contre la barbarie allemande ».
Si la communauté juive est hétérogène, ses membres sont tous animés d’une foi sincère dans la République qui se voulait être une preuve absolue d’intégration.
Ils ne représentent pas une minorité nationale comme en Pologne, où ils se distinguent par une langue ou des usages particuliers. Rien de tel en France.
En France, les juifs se répartissent dans toutes les couches de la société, en tant qu’individus et non en tant que juifs.
La participation à la grande guerre offre l’apothéose de l’émancipation, après des siècles de rejets antisémites.
Par reconnaissance envers la France, il s’agit, pour les juifs, d’honorer la nation qui les a émancipés à deux reprises, en 1791 et 1870.
Ils se sentent profondément redevables. La guerre leur apparait comme « rédemptrice ».
Emile Cahen écrira dans les Archives Israélites du 27 août 1914 : « L’émancipation des juifs a commencé en 1789, et sera un fait accompli à la fin de la guerre ».
Le patriotisme sera tellement puissant chez l’immense majorité des juifs français, qu’on refusera toute idée de solidarité avec les juifs allemands. De même, le sionisme, soupçonné d’être une création allemande, sera rejeté en France à cette époque.
Ce patriotisme sans faille sera celui de tous les juifs européens qui en paieront ujn prix élevé.
En Allemagne, un recensement fait par l’Etat-major en 1916 indique que 96 000 juifs sont mobilisés, sur un total de 480 000 juifs allemands de l’époque.
Il faudra aussi compter 500 000 juifs russes mobilisés, 50 000 juifs britanniques, et 1 200 juifs belges.
Au total, près de 1.5 million de juifs ont combattu dans les armées européennes, auxquels il faut ajouter 250 000 juifs américains à partir de 1917.
On recensera 170 000 Juifs morts au combat, dont 90 000 juifs Russes, 12 000 juifs Allemands, 8 500 juifs Britanniques.
Mais revenons aux juifs de France.
Des chiffres d’abord. Très révélateurs.
Le Consistoire créé en 1915 une commission d’historiens, d’archivistes et de rabbins chargée d’établir le nombre de juifs mobilisés, décorés, blessés et tués.
En 1914, la France compte 185 000 juifs (soit 0.5% de la population totale de 39 millions d’habitants).
Se sentant totalement intégrés à la République, et soucieux de récupérer les provinces perdues en 1870 (40 000 juifs vivaient en Alsace et en Moselle à ce moment là), les juifs vont massivement participer à l’effort de guerre.
Partisans de l’Union sacrée, 16 000 juifs français partiront sur le front (auxquels il faut ajouter 14 000 juifs venus d’Algérie sur un total de 65 000, et 8 000 juifs étrangers vivant en France sur un total de 30 000).
Au total, ce sont environ 38 000 juifs qui s’engageront dans l’armée française, dont 12 000 engagés volontaires.
Les actes héroïques ne manquent pas. Les juifs payent « l’impôt du sang ».
6 800 juifs de France mourront sur le front, soit 17% du nombre de juifs mobilisés (une proportion similaire à la moyenne nationale), dont 5 000 juifs français.
6 rabbins français seront tués, soit 13% du corps rabbinique.
Des juifs français célèbres feront leur devoir.
Le Capitaine Dreyfus, son fils, et les 3 fils de son frère ainé, Jacques Dreyfus : 2 d’entre eux seront tués, et le 3ème, l’un des aviateurs les plus décorés de la grande guerre, mourra à Auschwitz.
Marc Bloch, fusillé pour faits de résistance en 1944.
René Cassin, gravement blessé sur le front.
Et bien sûr, Jacob Kaplan, le futur Grand Rabbin de France, symbole à lui-seul de cet engagement des juifs Français, et dont le Grand Rabbin de France Haim Korsia a consacré une très belle et très complète biographie en 2006.
Jacob Kaplan à 19 ans en 1914 et il est élève du Séminaire. Il sera combattant alors qu’il s’engageait sur la voie du rabbinat.
Mobilisé le 20 décembre 1914, il déclara « Je ne veux pas être aumônier, mais combattre avec mes camarades ». Il fera toute la guerre dans le 411ème régiment d’infanterie.
Ses états de service durant les quatre ans de guerre seront remarquables. Il connaitra les tranchées, les combats, les hivers froids, les bombardements, la bataille de Verdun pendant 16 mois.
Il sera blessé par un éclat d’obus dans les tranchées de Champagne en 1916 et retournera au combat juste après.
Cela lui vaudra d’être décoré de la Croix de guerre et de figurer dans le « Livre des défenseurs de Verdun ».
Il retournera au Séminaire juste après la guerre en 1919.
Et parmi ces rabbins engagés sur le front, comment ne pas évoquer la mort au champ de bataille du rabbin Abraham Bloch le 29 août 1914 en tendant un crucifix à un soldat chrétien agonisant, devenant l’image mythique du patriotisme juif dans la France républicaine. Je salue la présence avec nous du petit-fils du rabbin Bloch, Paul Netter, qui interviendra au cours de ce colloque.
En mai 1916, le Président de la République, Raymond Poincaré, participera à l’office célébré dans la Grande synagogue de la Victoire à Paris, à la mémoire des combattants juifs morts au champ d’honneur. Les murs de cette synagogue portent encore aujourd’hui les longues listes de ces morts pour la France, sur des plaques apposées en 1923.
Il faut aussi souligner que les combattants juifs seront soutenus à l’arrière par un travail sans relâche de la communauté, en particulier les deux seules institutions juives de l’époque, le Consistoire Israélite et l’Alliance Israélite Universelle.
En août 1914, le Consistoire organise l’aumônerie militaire.
En 1915, il publie la « Tefila du soldat » qui sera distribuée sur le front.
Les sermons rabbiniques associent l’idéal religieux et l’idéal républicain, l’histoire du peuple juif et l’histoire de la nation.
Et notons également que jamais, dans l’histoire du judaïsme français, la femme n’aura été autant mise en valeur, avec un rôle clé d’organisation et de motivation.
Mais le grand paradoxe de cet engagement sans précédent pour la nation, c’est qu’il n’effacera pas, loin s’en faut, l’antisémitisme présent de longue date.
En France, malgré la réhabilitation d’Alfred Dreyfus en 1906, l’antisémitisme n’a pas disparu au sein de l’armée, ni dans la société. Il se renforce même à nouveau à partir de 1917.
En Allemagne, l’antisémitisme ne cessera d’augmenter tout au long de la guerre, sur fond de détérioration de la situation économique et d’une victoire qui ne vient pas. On cherche le coupable. Et une fois, de plus on le trouve dans le juif.
L’après-guerre sera cruel et ce paradoxe connaitra son paroxysme.
L’engagement des juifs français pour leur patrie ne s’est pas arrêté avec l’armistice, loin de là.
Malgré l’émergence du pacifisme dans les années 20 et 30, les juifs vont français redoubler d’efforts pour se forger une conscience patriotique.
Ce sera le point d’orgue de ce que l’on a appelé « l’israélitisme », fort bien décrit et analysé par Philippe Landau.
Il le définit comme la synthèse, chez les juifs français, entre foi républicaine et foi religieuse.
Mais face à un nationalisme français croissant, une certaine fuite en avant conduira dans les années 30 des juifs minoritaires vers un ultra-patriotisme.
Fidèles au souvenir de la fraternité des combats, des anciens combattants Juifs se retrouvent parmi les « Croix de Feu ».
Les juifs ultra-patriotes créent en 1934 avec l’avocat Edmond Bloch « l’Union patriotique des français israélites ».
Il s’en suivra un clivage profond au sein de la communauté juive, au moment où un autre juif, Léon Blum, amène le Front populaire au pouvoir en 1936.
Pour autant, le patriotisme juif ne parviendra jamais à vaincre l’antisémitisme dont il se voulait être l’antidote.
Au contraire.
A la fin des années 30, la virulence antisémite aura finalement raison de ceux des juifs français qui avaient toujours cru que de multiplier les preuves patriotiques permettrait une parfaite intégration.
L’ « israélitisme » aura vécu, et avec lui une certaine conception du judaïsme français, exacerbé par la Grande guerre.
Tous ont cru que l’importance de leur sacrifice, leurs décorations, et leurs titres, les exonèreraient du soupçon de ne pas être un bon français.
Peine perdue.
Cet « israélitisme » a-t-il conduit à un aveuglement face aux dangers naissants ? Certainement.
Vichy sera un choc terrible et rappellera à tous les juifs de France qu’ils sont juifs et donc coupables (et pas uniquement aux juifs étrangers comme certains veulent le faire croire aujourd’hui).
30 ans après le déclenchement de la grande guerre et la ferveur patriotique des juifs français, 76 000 juifs de France seront déportés et assassinés par la barbarie nazie, avec la complicité active de l’Etat français et de la police française.
30 ans de tragédie, où les juifs ont d’abord voulu se forger leur ascension dans la société, avant que cette dernière ne les broie.
30 ans, qui auront prouvé que les démons français révélés lors de « l’Affaire » Dreyfus, étaient trop profondément ancrés dans une partie de la société pour disparaître réellement.
Ont-ils d’ailleurs disparu aujourd’hui ? On peut en douter.
Mais je vais arrêter là d’évoquer les faits historiques.
Je voudrais en revanche mettre l’accent sur les enseignements que l’on peut tirer de cette épopée extraordinaire des « juifs pendant la grande guerre » et des années qui suivirent.
Je n’en citerai ici que trois.
Tout d’abord, notre attachement républicain et notre contribution à la construction de notre pays, font intrinsèquement partie de notre histoire, de notre identité et de notre héritage commun de juifs français.
La République, c’est le refus du renoncement.
La République, c’est l’émancipation de tous.
La République, c’est la priorité donnée à l’intérêt général humain.
La République, c’est notre bien commun le plus précieux.
Nous aimons cette France qui nous a accueilli et intégré.
Nous aimons cette République qui nous a soutenu et protégé.
Nous n’avons jamais cessé de la défendre.
Rappelons la devise du Consistoire, écrite sous Napoléon, exacerbée pendant la grande guerre, et restée en vigueur jusqu’à nos jours : « Patrie et Religion ».
Rappelons également que tous les Chabbat, nous lisons dans toutes les synagogues de France, la Prière pour la République. Preuve de notre attachement à la défense des valeurs républicaines et au bon vivre tous ensemble dans une France apaisée.
Cet héritage fort de l’attachement à la République est fait de valeurs nobles, comme le respect, la loyauté, la fidélité, le partage.
Il n’a jamais disparu, malgré les heures noires de l’histoire.
Après la grande désillusion de la grande guerre, après Vichy, après le Vel d’Hiv, après Drancy, la fidélité des juifs à la France et leur confiance dans la République n’ont jamais fait défaut.
La France est le seul pays d’Europe à avoir vu la communauté juive refleurir de cette manière après la Shoah, pour être devenue aujourd’hui l’une des plus dynamiques au monde.
Cet héritage fait partie de nous.
Comme ces juifs de la grande guerre, il est de notre responsabilité de continuer de le porter, et de le transmettre à notre tour.
Il doit continuer de nous guider dans notre action de juif et de français.
Et ce d’autant que l’ironie amère de l’histoire veut que 100 ans exactement après la grande guerre et le patriotisme exceptionnel des juifs de France, nous ayons entendu cet été dans les rues de Paris et des grandes villes, scandés les slogans « mort aux juifs » ou « Juif, tire-toi, la France n’est pas à toi ».
Le visage de l’antisémitisme a changé, mais la haine est la même.
Les « juifs pendant la grande guerre », nous ont prouvé si besoin était que la France était notre pays, que nous avons contribué à le défendre, à le faire vivre, à le faire gagner, à le faire prospérer.
Au prix d’un dévouement et d’un sacrifice inscrits dans l’histoire.
Cet engagement et ce sacrifice, sont la meilleure des réponses à apporter, à la fois à nos doutes éventuels quand nous voyons cette France qui ne parvient décidemment pas à se défaire de ses vieux démons, et à cet antisémitisme renaissant.
Si. La France est aussi à nous.
Si. Nous sommes ici chez nous. Nous avons gagné le droit de l’affirmer sans honte et sans complexe.
Nous avons payé le prix fort pour contribuer à construire ce pays. Il porte nos marques, nos traces et nos souffrances. Que ce soit à Verdun, ou ailleurs.
Ce constat doit aujourd’hui conduire à une prise de conscience renforcée dans la société, que de s’attaquer aux Juifs, c’est s’attaquer à la France, à la République et au-delà, à la démocratie.
Ce sont les mêmes qui ont attaqué une synagogue à Sarcelles et un commissariat de police à Garges les Gonesse.
Les ennemis des juifs et de la France ont très souvent le même visage.
Rappelons que les seuls pays au monde où se trouvent des synagogues sont des démocraties. Faisons donc tout pour que la France continue d’en faire partie.
Ce constat doit également interdire toute remise en cause de notre présence et notre apport à notre pays, qu’elles proviennent des antisémites d’extrême gauche, ou des antisémites d’extrême droite.
Gardons-le bien à l’esprit, à l’heure où les premiers nous attaquent en usant d’un antisionisme de façade, plus politiquement correct, et où les seconds tentent de s’acheter une nouvelle respectabilité qui ne trompe personne, et qui sont aux portes du pouvoir.
Les « juifs pendant la grande guerre » sont l’exemple même qui nous offre la meilleure raison pour combattre ces extrêmes avec la même fermeté, et de ne céder à aucune des sirènes venant de l’une ou de l’autre.
L’engagement des juifs pour la France a toujours répondu à l’amour profondément républicain pour notre pays, et non à la moindre haine ou volonté d’exclure qui que ce soit.
Et c’est la deuxième leçon à tirer de cette page de notre histoire.
Les juifs ont toujours été les acteurs centraux et naturels du « vivre ensemble » dans notre pays comme ailleurs. L’image du rabbin Abraham Bloch en août 1914 en est un symbole éclatant.
Mais il y en a tant d’autres.
A l’heure où ce « vivre ensemble » se cherche sans se trouver, avec les conséquences que l’on sait, nous juifs de France avons une responsabilité particulière, par notre histoire, notre culture et nos valeurs.
Il s’agit avant tout de continuer à porter haut et fort ce message universel qui a toujours fait naître de notre Peuple, la lumière et l’espoir.
Le vivre-ensemble, le respect de l’autre, le partage d’un destin commun, tels qu’ils ont été incarnés durant la grande guerre, ont toujours fait partie de notre culture, de notre identité.
Rappelons ici les mots de Jacob Kaplan : « La souffrance, la patience, le sacrifice, l’héroïsme étaient le pain quotidien. Tous ces soldats se sont éprouvés les uns les autres, et la différence d’opinion, de croyance, ne comptait pas ».
Peut-être est-ce là que réside le véritable sens de se souvenir de la grande guerre et de ses morts, comme nous le faisons aujourd’hui.
Tous les morts pour la France étaient égaux, unis par les mêmes idéaux et la même humanité.
Et c’est au nom de cette humanité que nous vivons aujourd’hui dans une Europe apaisée, où personne n’imagine plus possible un retour en arrière.
C’est ce message que la France doit incarner et porter là où les conflits continuent de déchirer les hommes.
C’est ce message que, 100 ans après la grande guerre, les juifs de France doivent relayer comme ils l’ont toujours fait.
Je rappellerais à cet égard, le grand colloque que le BBF organise dimanche 14 janvier prochain au Collège des Bernardins à Paris : « Juifs et Chrétiens - Connaissance mutuelle & Enjeux d’une réflexion commune pour notre société ».
Le B’nai B’rith est un acteur engagé de ce « vivre-ensemble » dont la France a besoin plus que jamais.
Enfin, la troisième leçon à tirer de cette incroyable page de notre histoire, c’est notre devoir de conserver, en tant que juifs, notre destin entre nos mains.
Notre amour pour la France, n’est certes ni discutable ni négociable. Et nous l’avons prouvé depuis un siècle avec force et constance.
Pour autant, l’aveuglement ne peut plus exister, comme cela a pu être le cas dans le passé avec les conséquences que l’on sait.
L’amour de la République ne suppose pas de fermer les yeux sur des manquements, des dérives, ou des menaces qu’elle ne parviendrait pas à maitriser.
Il nous faut être conscient, vigilent et mobilisé pour contribuer à les juguler, face à des ennemis qui n’ont jamais disparu, même si leur apparence a pu changer.
Dans le même temps, et c’est bien sûr la grande différence avec les années de tragédie que nous avons évoquées précédemment, l’existence de l’Etat d’Israël est une garantie et une sécurité pour les juifs du monde entier, qui aurait changé bien des choses pour nos parents et nos grands-parents.
Notre attachement à Israël est évident et n’est en rien incompatible avec notre attachement historique à la France.
L’un sans l’autre nous remettrait incontestablement en danger, en nous rendant à nouveaux dépendants d’une bienveillance extérieure, donc aléatoire et incertaine.
L’un avec l’autre garantissent notre sécurité et notre avenir, en nous permettant de mettre les plus grands atouts de notre coté pour choisir cet avenir, et non pas le subir.
Nous devons être fiers d’être français, et fiers d’être juif. Fiers de la France et fiers d’Israël. Seuls nos ennemis y voient là une contradiction, voire un problème.
Ces trois enseignements majeurs – notre attachement à la République, notre implication dans le vivre-ensemble, et la nécessité de prendre nous-mêmes en main notre destin -, nous devons aujourd’hui les assumer, les incarner, et en exprimer le message à la société toute entière.
Plus qu’un message, c’est un combat qu’il nous faut mener, avec toutes les forces vives de la nation qui aiment et défendent comme nous la France et la République.
Pour être forts dans ce combat crucial, nous devons être unis et solidaires.
Le B’nai B’rith y prend depuis longtemps toute sa part, et continuera d’être – grâce à sa structure, ses actions, ses valeurs et la qualité de ses membres - aux avant-postes de ce combat.
Notre nouveau Grand Rabbin de France, Haim Korsia, symbole de ce judaïsme ouvert et tolérant, de cet amour de la France et de cette confiance dans la République, en est un des principaux garant, promoteur, et acteur.
Ce combat est aujourd’hui essentiel.
Non seulement parce que c’est le chemin que le judaïsme français a toujours emprunté, mais parce qu’il n’y en a pas d’autre, à la fois pour la communauté juive et pour la société.
C’est notre intérêt et notre devoir, pour assumer avec fierté notre place, notre rôle et notre identité.
Certains d’entre nous font le choix de partir, que ce soit par idéal ou pour d’autres raisons, et cette décision est respectable.
Mais beaucoup font le choix de rester, parce qu’ils croient dans notre pays, sont fiers de ses valeurs et de son histoire, et lui font confiance.
Pour tous ceux-là, il y a un devoir aujourd’hui de mener ensemble ce combat pour la sauvegarde de notre modèle français.
Un modèle qui a été façonné par cette page d’histoire de la grande guerre et par la place qui y ont tenu les juifs de France.
A voir les nuages qui s’accumulent au-dessus de nos têtes, il y a urgence à le faire, avant qu’il ne soit trop tard.
Nul doute que ce moment de réflexion auquel nous allons assister aujourd’hui, nous fournira des éléments importants pour y parvenir. Ce sera aussi là, une de ses contributions majeures qui feront son intérêt et son utilité.
Le programme de cette journée est intense et nous allons l’entamer sans plus tarder.
Suivant un ordre chronologique, trois tables rondes évoqueront, par des analyses et des témoignages, toutes les aspects de cette page d’histoire passionnante.
« Avant 1914 : de Dreyfus au début de la guerre - août 1914 »
« La guerre 1914/1918 - L'engagement des Juifs »
« Après la guerre 14/18 : du traité de Versailles jusqu'à Hitler en 1933 »
La conclusion de cet colloque sera faite ce soir par Nicole Elbaz, Présidente régionale du B'nai B'rith Rhône-Alpes.
Je vous remercie de votre attention, et vous souhaite un très bon colloque.
Je laisse la parole aux éminents orateurs venus nous parler de ce sujet majeur pour éclairer notre passé, appréhender notre présent, et nous préparer à notre avenir.
Il vous prie de bien vouloir l’excuser de ne pas avoir pu venir ouvrir ce colloque alors qu’il se rend aujourd’hui même en Israël, avec une délégation du Crif, pour rencontrer les autorités du pays et leur apporter un message de solidarité des juifs de France dans le climat difficile que l’on sait, notamment à Jérusalem.
Je salue la Présidente du B’nai B’rith Rhône-Alpes, Nicole Elbaz, et félicite en particulier Claude Lévy, Solange Levy et David Barré, qui ont organisé ce 7ème colloque des intellectuels sur le thème des « juifs pendant la grande guerre », qui s’annonce passionnant.
Je voudrais enfin remercier tous les intervenants de cette journée pour leur présence. Ils nous offriront la richesse de leurs analyses et de leurs témoignages.
Ce sujet des « juifs pendant la grande guerre » me tient particulièrement à cœur.
En tant que juif alsacien, ayant reçu en héritage cet amour de la France et du judaïsme, ce thème a nourri tant de discussions durant mon enfance et a façonné une partie de mes réflexions et de mes actions.
En tant que militant dans différentes institutions communautaires, je mesure l’importance que revêt aujourd’hui, dans le contexte que nous connaissons, le rappel de l’appartenance des juifs à la nation, leur apport à l’histoire de ce pays et leur contribution à sa grandeur.
Enfin, en tant que membre du B’nai B’rith, fier de ses valeurs de fraternité, d’humanisme et de solidarité, ce comportement exemplaire des juifs durant la grande guerre est une référence qui guide une certaine façon d’agir pour sa communauté et pour son pays, et qui imprime une éthique, une morale et une conduite de chaque instant.
Mais au-delà de mon intérêt personnel pour ce sujet, c’est peu de dire que le thème des « juifs pendant la grande guerre » est important.
Important, car il constitue une page essentielle de notre histoire, en tant que juif et français, qui a pu parfois être éclipsée par l’horreur de la Shoah qui l’a suivie de près. Sa connaissance et sa transmission sont essentielles à l’heure où presque tous les derniers survivants ont disparu.
Important, car il permet, 100 ans plus tard, de tirer des leçons majeures de cette page de notre histoire, et de fournir des éléments de réponses importants dans la France d’aujourd’hui, face à la résurgence du poison antisémite.
Je voudrais débuter cette introduction au colloque par quelques rappels historiques.
N’étant pas historien, ils resteront bien entendu sommaires. Les spécialistes présents avec nous y reviendront tout au long de la journée, avec bien plus de connaissances et de détails.
Les « juifs pendant la grande guerre », c’est avant tout l’histoire d’un engagement exceptionnel.
Soulignons ici le travail remarquable fait par Philippe Landau, historien et Conservateur des Archives du Consistoire, pour rendre compte de cette période.
Les juifs français ont avant tout la volonté de manifester « leur patriotisme républicain contre la barbarie allemande ».
Si la communauté juive est hétérogène, ses membres sont tous animés d’une foi sincère dans la République qui se voulait être une preuve absolue d’intégration.
Ils ne représentent pas une minorité nationale comme en Pologne, où ils se distinguent par une langue ou des usages particuliers. Rien de tel en France.
En France, les juifs se répartissent dans toutes les couches de la société, en tant qu’individus et non en tant que juifs.
La participation à la grande guerre offre l’apothéose de l’émancipation, après des siècles de rejets antisémites.
Par reconnaissance envers la France, il s’agit, pour les juifs, d’honorer la nation qui les a émancipés à deux reprises, en 1791 et 1870.
Ils se sentent profondément redevables. La guerre leur apparait comme « rédemptrice ».
Emile Cahen écrira dans les Archives Israélites du 27 août 1914 : « L’émancipation des juifs a commencé en 1789, et sera un fait accompli à la fin de la guerre ».
Le patriotisme sera tellement puissant chez l’immense majorité des juifs français, qu’on refusera toute idée de solidarité avec les juifs allemands. De même, le sionisme, soupçonné d’être une création allemande, sera rejeté en France à cette époque.
Ce patriotisme sans faille sera celui de tous les juifs européens qui en paieront ujn prix élevé.
En Allemagne, un recensement fait par l’Etat-major en 1916 indique que 96 000 juifs sont mobilisés, sur un total de 480 000 juifs allemands de l’époque.
Il faudra aussi compter 500 000 juifs russes mobilisés, 50 000 juifs britanniques, et 1 200 juifs belges.
Au total, près de 1.5 million de juifs ont combattu dans les armées européennes, auxquels il faut ajouter 250 000 juifs américains à partir de 1917.
On recensera 170 000 Juifs morts au combat, dont 90 000 juifs Russes, 12 000 juifs Allemands, 8 500 juifs Britanniques.
Mais revenons aux juifs de France.
Des chiffres d’abord. Très révélateurs.
Le Consistoire créé en 1915 une commission d’historiens, d’archivistes et de rabbins chargée d’établir le nombre de juifs mobilisés, décorés, blessés et tués.
En 1914, la France compte 185 000 juifs (soit 0.5% de la population totale de 39 millions d’habitants).
Se sentant totalement intégrés à la République, et soucieux de récupérer les provinces perdues en 1870 (40 000 juifs vivaient en Alsace et en Moselle à ce moment là), les juifs vont massivement participer à l’effort de guerre.
Partisans de l’Union sacrée, 16 000 juifs français partiront sur le front (auxquels il faut ajouter 14 000 juifs venus d’Algérie sur un total de 65 000, et 8 000 juifs étrangers vivant en France sur un total de 30 000).
Au total, ce sont environ 38 000 juifs qui s’engageront dans l’armée française, dont 12 000 engagés volontaires.
Les actes héroïques ne manquent pas. Les juifs payent « l’impôt du sang ».
6 800 juifs de France mourront sur le front, soit 17% du nombre de juifs mobilisés (une proportion similaire à la moyenne nationale), dont 5 000 juifs français.
6 rabbins français seront tués, soit 13% du corps rabbinique.
Des juifs français célèbres feront leur devoir.
Le Capitaine Dreyfus, son fils, et les 3 fils de son frère ainé, Jacques Dreyfus : 2 d’entre eux seront tués, et le 3ème, l’un des aviateurs les plus décorés de la grande guerre, mourra à Auschwitz.
Marc Bloch, fusillé pour faits de résistance en 1944.
René Cassin, gravement blessé sur le front.
Et bien sûr, Jacob Kaplan, le futur Grand Rabbin de France, symbole à lui-seul de cet engagement des juifs Français, et dont le Grand Rabbin de France Haim Korsia a consacré une très belle et très complète biographie en 2006.
Jacob Kaplan à 19 ans en 1914 et il est élève du Séminaire. Il sera combattant alors qu’il s’engageait sur la voie du rabbinat.
Mobilisé le 20 décembre 1914, il déclara « Je ne veux pas être aumônier, mais combattre avec mes camarades ». Il fera toute la guerre dans le 411ème régiment d’infanterie.
Ses états de service durant les quatre ans de guerre seront remarquables. Il connaitra les tranchées, les combats, les hivers froids, les bombardements, la bataille de Verdun pendant 16 mois.
Il sera blessé par un éclat d’obus dans les tranchées de Champagne en 1916 et retournera au combat juste après.
Cela lui vaudra d’être décoré de la Croix de guerre et de figurer dans le « Livre des défenseurs de Verdun ».
Il retournera au Séminaire juste après la guerre en 1919.
Et parmi ces rabbins engagés sur le front, comment ne pas évoquer la mort au champ de bataille du rabbin Abraham Bloch le 29 août 1914 en tendant un crucifix à un soldat chrétien agonisant, devenant l’image mythique du patriotisme juif dans la France républicaine. Je salue la présence avec nous du petit-fils du rabbin Bloch, Paul Netter, qui interviendra au cours de ce colloque.
En mai 1916, le Président de la République, Raymond Poincaré, participera à l’office célébré dans la Grande synagogue de la Victoire à Paris, à la mémoire des combattants juifs morts au champ d’honneur. Les murs de cette synagogue portent encore aujourd’hui les longues listes de ces morts pour la France, sur des plaques apposées en 1923.
Il faut aussi souligner que les combattants juifs seront soutenus à l’arrière par un travail sans relâche de la communauté, en particulier les deux seules institutions juives de l’époque, le Consistoire Israélite et l’Alliance Israélite Universelle.
En août 1914, le Consistoire organise l’aumônerie militaire.
En 1915, il publie la « Tefila du soldat » qui sera distribuée sur le front.
Les sermons rabbiniques associent l’idéal religieux et l’idéal républicain, l’histoire du peuple juif et l’histoire de la nation.
Et notons également que jamais, dans l’histoire du judaïsme français, la femme n’aura été autant mise en valeur, avec un rôle clé d’organisation et de motivation.
Mais le grand paradoxe de cet engagement sans précédent pour la nation, c’est qu’il n’effacera pas, loin s’en faut, l’antisémitisme présent de longue date.
En France, malgré la réhabilitation d’Alfred Dreyfus en 1906, l’antisémitisme n’a pas disparu au sein de l’armée, ni dans la société. Il se renforce même à nouveau à partir de 1917.
En Allemagne, l’antisémitisme ne cessera d’augmenter tout au long de la guerre, sur fond de détérioration de la situation économique et d’une victoire qui ne vient pas. On cherche le coupable. Et une fois, de plus on le trouve dans le juif.
L’après-guerre sera cruel et ce paradoxe connaitra son paroxysme.
L’engagement des juifs français pour leur patrie ne s’est pas arrêté avec l’armistice, loin de là.
Malgré l’émergence du pacifisme dans les années 20 et 30, les juifs vont français redoubler d’efforts pour se forger une conscience patriotique.
Ce sera le point d’orgue de ce que l’on a appelé « l’israélitisme », fort bien décrit et analysé par Philippe Landau.
Il le définit comme la synthèse, chez les juifs français, entre foi républicaine et foi religieuse.
Mais face à un nationalisme français croissant, une certaine fuite en avant conduira dans les années 30 des juifs minoritaires vers un ultra-patriotisme.
Fidèles au souvenir de la fraternité des combats, des anciens combattants Juifs se retrouvent parmi les « Croix de Feu ».
Les juifs ultra-patriotes créent en 1934 avec l’avocat Edmond Bloch « l’Union patriotique des français israélites ».
Il s’en suivra un clivage profond au sein de la communauté juive, au moment où un autre juif, Léon Blum, amène le Front populaire au pouvoir en 1936.
Pour autant, le patriotisme juif ne parviendra jamais à vaincre l’antisémitisme dont il se voulait être l’antidote.
Au contraire.
A la fin des années 30, la virulence antisémite aura finalement raison de ceux des juifs français qui avaient toujours cru que de multiplier les preuves patriotiques permettrait une parfaite intégration.
L’ « israélitisme » aura vécu, et avec lui une certaine conception du judaïsme français, exacerbé par la Grande guerre.
Tous ont cru que l’importance de leur sacrifice, leurs décorations, et leurs titres, les exonèreraient du soupçon de ne pas être un bon français.
Peine perdue.
Cet « israélitisme » a-t-il conduit à un aveuglement face aux dangers naissants ? Certainement.
Vichy sera un choc terrible et rappellera à tous les juifs de France qu’ils sont juifs et donc coupables (et pas uniquement aux juifs étrangers comme certains veulent le faire croire aujourd’hui).
30 ans après le déclenchement de la grande guerre et la ferveur patriotique des juifs français, 76 000 juifs de France seront déportés et assassinés par la barbarie nazie, avec la complicité active de l’Etat français et de la police française.
30 ans de tragédie, où les juifs ont d’abord voulu se forger leur ascension dans la société, avant que cette dernière ne les broie.
30 ans, qui auront prouvé que les démons français révélés lors de « l’Affaire » Dreyfus, étaient trop profondément ancrés dans une partie de la société pour disparaître réellement.
Ont-ils d’ailleurs disparu aujourd’hui ? On peut en douter.
Mais je vais arrêter là d’évoquer les faits historiques.
Je voudrais en revanche mettre l’accent sur les enseignements que l’on peut tirer de cette épopée extraordinaire des « juifs pendant la grande guerre » et des années qui suivirent.
Je n’en citerai ici que trois.
Tout d’abord, notre attachement républicain et notre contribution à la construction de notre pays, font intrinsèquement partie de notre histoire, de notre identité et de notre héritage commun de juifs français.
La République, c’est le refus du renoncement.
La République, c’est l’émancipation de tous.
La République, c’est la priorité donnée à l’intérêt général humain.
La République, c’est notre bien commun le plus précieux.
Nous aimons cette France qui nous a accueilli et intégré.
Nous aimons cette République qui nous a soutenu et protégé.
Nous n’avons jamais cessé de la défendre.
Rappelons la devise du Consistoire, écrite sous Napoléon, exacerbée pendant la grande guerre, et restée en vigueur jusqu’à nos jours : « Patrie et Religion ».
Rappelons également que tous les Chabbat, nous lisons dans toutes les synagogues de France, la Prière pour la République. Preuve de notre attachement à la défense des valeurs républicaines et au bon vivre tous ensemble dans une France apaisée.
Cet héritage fort de l’attachement à la République est fait de valeurs nobles, comme le respect, la loyauté, la fidélité, le partage.
Il n’a jamais disparu, malgré les heures noires de l’histoire.
Après la grande désillusion de la grande guerre, après Vichy, après le Vel d’Hiv, après Drancy, la fidélité des juifs à la France et leur confiance dans la République n’ont jamais fait défaut.
La France est le seul pays d’Europe à avoir vu la communauté juive refleurir de cette manière après la Shoah, pour être devenue aujourd’hui l’une des plus dynamiques au monde.
Cet héritage fait partie de nous.
Comme ces juifs de la grande guerre, il est de notre responsabilité de continuer de le porter, et de le transmettre à notre tour.
Il doit continuer de nous guider dans notre action de juif et de français.
Et ce d’autant que l’ironie amère de l’histoire veut que 100 ans exactement après la grande guerre et le patriotisme exceptionnel des juifs de France, nous ayons entendu cet été dans les rues de Paris et des grandes villes, scandés les slogans « mort aux juifs » ou « Juif, tire-toi, la France n’est pas à toi ».
Le visage de l’antisémitisme a changé, mais la haine est la même.
Les « juifs pendant la grande guerre », nous ont prouvé si besoin était que la France était notre pays, que nous avons contribué à le défendre, à le faire vivre, à le faire gagner, à le faire prospérer.
Au prix d’un dévouement et d’un sacrifice inscrits dans l’histoire.
Cet engagement et ce sacrifice, sont la meilleure des réponses à apporter, à la fois à nos doutes éventuels quand nous voyons cette France qui ne parvient décidemment pas à se défaire de ses vieux démons, et à cet antisémitisme renaissant.
Si. La France est aussi à nous.
Si. Nous sommes ici chez nous. Nous avons gagné le droit de l’affirmer sans honte et sans complexe.
Nous avons payé le prix fort pour contribuer à construire ce pays. Il porte nos marques, nos traces et nos souffrances. Que ce soit à Verdun, ou ailleurs.
Ce constat doit aujourd’hui conduire à une prise de conscience renforcée dans la société, que de s’attaquer aux Juifs, c’est s’attaquer à la France, à la République et au-delà, à la démocratie.
Ce sont les mêmes qui ont attaqué une synagogue à Sarcelles et un commissariat de police à Garges les Gonesse.
Les ennemis des juifs et de la France ont très souvent le même visage.
Rappelons que les seuls pays au monde où se trouvent des synagogues sont des démocraties. Faisons donc tout pour que la France continue d’en faire partie.
Ce constat doit également interdire toute remise en cause de notre présence et notre apport à notre pays, qu’elles proviennent des antisémites d’extrême gauche, ou des antisémites d’extrême droite.
Gardons-le bien à l’esprit, à l’heure où les premiers nous attaquent en usant d’un antisionisme de façade, plus politiquement correct, et où les seconds tentent de s’acheter une nouvelle respectabilité qui ne trompe personne, et qui sont aux portes du pouvoir.
Les « juifs pendant la grande guerre » sont l’exemple même qui nous offre la meilleure raison pour combattre ces extrêmes avec la même fermeté, et de ne céder à aucune des sirènes venant de l’une ou de l’autre.
L’engagement des juifs pour la France a toujours répondu à l’amour profondément républicain pour notre pays, et non à la moindre haine ou volonté d’exclure qui que ce soit.
Et c’est la deuxième leçon à tirer de cette page de notre histoire.
Les juifs ont toujours été les acteurs centraux et naturels du « vivre ensemble » dans notre pays comme ailleurs. L’image du rabbin Abraham Bloch en août 1914 en est un symbole éclatant.
Mais il y en a tant d’autres.
A l’heure où ce « vivre ensemble » se cherche sans se trouver, avec les conséquences que l’on sait, nous juifs de France avons une responsabilité particulière, par notre histoire, notre culture et nos valeurs.
Il s’agit avant tout de continuer à porter haut et fort ce message universel qui a toujours fait naître de notre Peuple, la lumière et l’espoir.
Le vivre-ensemble, le respect de l’autre, le partage d’un destin commun, tels qu’ils ont été incarnés durant la grande guerre, ont toujours fait partie de notre culture, de notre identité.
Rappelons ici les mots de Jacob Kaplan : « La souffrance, la patience, le sacrifice, l’héroïsme étaient le pain quotidien. Tous ces soldats se sont éprouvés les uns les autres, et la différence d’opinion, de croyance, ne comptait pas ».
Peut-être est-ce là que réside le véritable sens de se souvenir de la grande guerre et de ses morts, comme nous le faisons aujourd’hui.
Tous les morts pour la France étaient égaux, unis par les mêmes idéaux et la même humanité.
Et c’est au nom de cette humanité que nous vivons aujourd’hui dans une Europe apaisée, où personne n’imagine plus possible un retour en arrière.
C’est ce message que la France doit incarner et porter là où les conflits continuent de déchirer les hommes.
C’est ce message que, 100 ans après la grande guerre, les juifs de France doivent relayer comme ils l’ont toujours fait.
Je rappellerais à cet égard, le grand colloque que le BBF organise dimanche 14 janvier prochain au Collège des Bernardins à Paris : « Juifs et Chrétiens - Connaissance mutuelle & Enjeux d’une réflexion commune pour notre société ».
Le B’nai B’rith est un acteur engagé de ce « vivre-ensemble » dont la France a besoin plus que jamais.
Enfin, la troisième leçon à tirer de cette incroyable page de notre histoire, c’est notre devoir de conserver, en tant que juifs, notre destin entre nos mains.
Notre amour pour la France, n’est certes ni discutable ni négociable. Et nous l’avons prouvé depuis un siècle avec force et constance.
Pour autant, l’aveuglement ne peut plus exister, comme cela a pu être le cas dans le passé avec les conséquences que l’on sait.
L’amour de la République ne suppose pas de fermer les yeux sur des manquements, des dérives, ou des menaces qu’elle ne parviendrait pas à maitriser.
Il nous faut être conscient, vigilent et mobilisé pour contribuer à les juguler, face à des ennemis qui n’ont jamais disparu, même si leur apparence a pu changer.
Dans le même temps, et c’est bien sûr la grande différence avec les années de tragédie que nous avons évoquées précédemment, l’existence de l’Etat d’Israël est une garantie et une sécurité pour les juifs du monde entier, qui aurait changé bien des choses pour nos parents et nos grands-parents.
Notre attachement à Israël est évident et n’est en rien incompatible avec notre attachement historique à la France.
L’un sans l’autre nous remettrait incontestablement en danger, en nous rendant à nouveaux dépendants d’une bienveillance extérieure, donc aléatoire et incertaine.
L’un avec l’autre garantissent notre sécurité et notre avenir, en nous permettant de mettre les plus grands atouts de notre coté pour choisir cet avenir, et non pas le subir.
Nous devons être fiers d’être français, et fiers d’être juif. Fiers de la France et fiers d’Israël. Seuls nos ennemis y voient là une contradiction, voire un problème.
Ces trois enseignements majeurs – notre attachement à la République, notre implication dans le vivre-ensemble, et la nécessité de prendre nous-mêmes en main notre destin -, nous devons aujourd’hui les assumer, les incarner, et en exprimer le message à la société toute entière.
Plus qu’un message, c’est un combat qu’il nous faut mener, avec toutes les forces vives de la nation qui aiment et défendent comme nous la France et la République.
Pour être forts dans ce combat crucial, nous devons être unis et solidaires.
Le B’nai B’rith y prend depuis longtemps toute sa part, et continuera d’être – grâce à sa structure, ses actions, ses valeurs et la qualité de ses membres - aux avant-postes de ce combat.
Notre nouveau Grand Rabbin de France, Haim Korsia, symbole de ce judaïsme ouvert et tolérant, de cet amour de la France et de cette confiance dans la République, en est un des principaux garant, promoteur, et acteur.
Ce combat est aujourd’hui essentiel.
Non seulement parce que c’est le chemin que le judaïsme français a toujours emprunté, mais parce qu’il n’y en a pas d’autre, à la fois pour la communauté juive et pour la société.
C’est notre intérêt et notre devoir, pour assumer avec fierté notre place, notre rôle et notre identité.
Certains d’entre nous font le choix de partir, que ce soit par idéal ou pour d’autres raisons, et cette décision est respectable.
Mais beaucoup font le choix de rester, parce qu’ils croient dans notre pays, sont fiers de ses valeurs et de son histoire, et lui font confiance.
Pour tous ceux-là, il y a un devoir aujourd’hui de mener ensemble ce combat pour la sauvegarde de notre modèle français.
Un modèle qui a été façonné par cette page d’histoire de la grande guerre et par la place qui y ont tenu les juifs de France.
A voir les nuages qui s’accumulent au-dessus de nos têtes, il y a urgence à le faire, avant qu’il ne soit trop tard.
Nul doute que ce moment de réflexion auquel nous allons assister aujourd’hui, nous fournira des éléments importants pour y parvenir. Ce sera aussi là, une de ses contributions majeures qui feront son intérêt et son utilité.
Le programme de cette journée est intense et nous allons l’entamer sans plus tarder.
Suivant un ordre chronologique, trois tables rondes évoqueront, par des analyses et des témoignages, toutes les aspects de cette page d’histoire passionnante.
« Avant 1914 : de Dreyfus au début de la guerre - août 1914 »
« La guerre 1914/1918 - L'engagement des Juifs »
« Après la guerre 14/18 : du traité de Versailles jusqu'à Hitler en 1933 »
La conclusion de cet colloque sera faite ce soir par Nicole Elbaz, Présidente régionale du B'nai B'rith Rhône-Alpes.
Je vous remercie de votre attention, et vous souhaite un très bon colloque.
Je laisse la parole aux éminents orateurs venus nous parler de ce sujet majeur pour éclairer notre passé, appréhender notre présent, et nous préparer à notre avenir.