Novembre 2011
C’est peu de dire que la prière représente le moment privilégié dans l’exercice de la foi, l’expression physique et organisée du sentiment religieux. En particulier pour le judaïsme, premier des monothéismes, qui a un très fort rapport au divin.
La prière est inhérente au décalage assumé entre la créature_que nous sommes_et le Créateur que nous reconnaissons. Elle sera donc naturelle pour le juif croyant qui s’adressera à l’omnipotence de son Dieu qui lui a donné naissance. Elle sera exprimée par la parole qui atteste de la reconnaissance du Divin; le silence, privilégié par certaines croyances, n’est rien d’autre qu’un dialogue avec soi-même. De toutes façons, pour le judaïsme, la voix_ et donc la parole_ est le vecteur de la croyance. La vision reste l’apanage de l’idolâtrie qui privilégie l’image et nous savons que l’idole est dénuée de parole. Conscient de sa précarité, l’homme juif va, dans un élan du coeur, s’adresser au Ciel; dans un mouvement de bas en haut empreint de déférence et de vénération, mélange de crainte et d’amour. Dans un langage anthropomorphique, seul accessible à l’intelligence humaine. Devant une “___Présence absente” qui caractérise l’approche juive dans sa relation sans intermédiaire avec Hachem le Nom ( imprononçable et mystérieux ).
La prière constitue la colonne vertébrale de la vie juive; c’est l’instant réservé au dialogue avec la Transcendance et l’occasion d’une introspection existentielle et morale de l’individu juif. Elle rythme la journée du croyant_ qui se soumet, à cette occasion, à une pause dans le tintamare de la vie_ et s’organise dans trois rendez-vous quotidiens: le matin pour SHAHRIT, l’après-midi pour MINHA et le soir ARBIT.
LES ORIGINES
On voit déjà dans la Bible, Abraham, le premier des patriarches ( -1950 ) implorer Dieu, dans une prière, en faveur des habitants de Sodome, coupables de transgresser les principes moraux que l’humanité, depuis Noé, avait décidé d’intégrer dans sa conscience et sa conduite. Plus tard, Moïse (-1400) passe son temps à intercéder auprès du Ciel, pour le peuple hébreu sorti d’Egypte et maintes fois égaré dans sa confiance vis-à-vis d’un Dieu qui venait de le libérer du joug pharaonique. Au temps des Juges ( -1000 ), Hanna, future prophétesse ( la tradition en compte 7 ) mère de Samuel, prophète du livre éponyme, nous donne même le modèle de la prière quand seules ses lèvres murmurent les mots qu’elle adresse à Dieu, dans un élan pathétique inédit, pour mettre fin à sa stérilité.
La dimension collective, et plus ou moins organisée, de la prière se manifestera à l’époque du second Temple ( du 5ème siècle avant notre ère au premier siècle de l’ère vulgaire ). Les habitants de la terre d’Israël qui se trouvaient éloignés de Jérusalem et les autres juifs dispersés tout autour, se trouvaient dans l’impossibilité de réaliser le pèlerinage tri-annuel de Pessah, Shavouot et Soukkot. Chaque citoyen était invité ( injonction divine ) à apporter des offrandes, fruits de la terre et à assister aux sacrifices d’animaux organisés dans le parvis du Temple. On sait que le mot Korban ( sacrifice ) se traduit également par rapprochement et proximité; avec l’En-Haut certes mais aussi avec l’Autre, proche ou lointain qu’on retrouvait à ces occasions.
Et dans le traité talmudique Taanit, on rapporte l’inquiétude d’Abraham qui demanda à Dieu : “Souverain du monde, ces sacrifices suffiront tant que durera le Temple mais lorsqu’il aura disparu que deviendra ma descendance ? Et le Seigneur lui répondit “mon fils, j’ai fait à leur intention l’ordre des sacrifices. Chaque fois qu’ils le liront, ce sera pour moi comme s’ils m’offraient leurs sacrifices et je leur pardonnerai toutes leurs fautes”.
Déjà, la Knesset Haggédola la Grande Assemblée_ l’instance dirigeante de l’Israël d’alors qui était une théocratie_ avait élaboré les textes des deux composantes incontournables de la prière: le Shémah Israël et la Amida. Nous sommes entre le 5ème et le deuxième siècle avant l’ère vulgaire.
Plus tard, le contenu en fut étoffé et structuré par les Maîtres et les Docteurs du Talmud ( du 2ème au 5ème siècle de notre ère ) sous l’impulsion des disciples de Rabbi Yohannan Ben Zakaï.
Ces travaux aboutissent à la production du livre de prières le Siddour ( littéralement l’organisé ), quasi identique à celui que nous avons, aujourd’hui, entre les mains et qui est commun à toutes les synagogues_ de par le monde, hormis quelques modifications marginales propres à telle ou telle communauté d’origine. Le traité Bérakhot du Talmud en donne les grandes lignes qui, plus tard, seront formalisées par Maïmonide ( 11ème siècle ) puis dans le chapitre Or Hahaïm du Shoulhan Aroukh de Joseph Caro ( 16 ème siècle ). Décision ô combien importante, pour sauvegarder l’unité du peuple juif
qui venait de perdre le Temple de Jérusalem, son monument national détruit par les Romains en l’an 70 et qui allait connaître les affres du déracinement et de la dispersion; dangers mortels pour son existence de peuple. Avec l’étude de la Tora et la prière ordonnée à tout juif, l’essence du judaïsme, son identité profonde et donc sa pérennité, étaient ainsi assurées.
“La prière que l’homme entreprend_ parce qu’il le doit et non parce qu’il est poussé par ses sentiments et ses besoins_ constitue l’acceptation du joug du Créateur, le joug de la Tora et des préceptes” dira au XXème siècle, Yéshahyahou Leibovitch. Il ajoute:” la signification de la prière n’est pas une demande pour que Dieu modifie le cours de Son monde pour le bien de celui qui prie, mais elle est l’acte d’attachement à Dieu par le fait de le servir sans lien aucun avec ce qui se produit dans la réalité naturelle”. Approche radicale, semble-t-il, contestée par certains penseurs. Ceux-ci considèrent que la demande, afin que soient agréés certains besoins, est légitime et licite dès lors que ces sollicitations ne peuvent aboutir par l’effort personnel ( demande de guérison, de pluie…..).
Il reste que la prière, halte et pause dans le vacarme aliénant du quotidien, moment soustrait à notre vitalité de fauve, est une obligation rabbinique. En scandant notre journée, elle nous évite de nous retrouver seuls livrés à nous-mêmes, source d’angoisse ou de griserie sur son égo. Elle nous relie, ( religion =ce qui relie) l’espace de quelques instants au monde de l’Infini et de la Transcendance, à l’Invisible qui nous invite à un dépassement de notre condition. A nous faire prendre conscience de notre précarité (le mot prière vient de la racine latine precare ), de notre finitude.
Le RITE, c’est à dire l’ensemble cérémonial et gestuel qui accompagne le texte est fondamental. “Complexe et multiforme, il oblige à prendre conscience du fait que tout ce que nous faisons a une valeur, que rien n’est sans importance”.
Pour sa réalisation, le Rite passe par le corps qui peut ainsi devenir un lieu d’exercice vers le divin, une marque emblématique d’alliance. Il habille toute expression religieuse dans la vie du juif.
Faire participer le corps en s’enveloppant du Taleth , en se prosternant, en écartant ses deux mains etc.. confère à nos paroles plus de force et de prégnance à nos invocations ou à nos demandes. On a dit du judaïsme que c’est une orthopraxie ( privilégiant le “faire”, on dit de quelqu’un respectueux des lois religieuses, qu”il pratique”), quand le christianisme serait une orthodoxie exaltant la Parole séparée de l’acte.
“D’origine communautaire, loi et commandement, le rite, dira Lévinas, n’est pas du tout extérieur à la conscience; il la conditionne, il lui permet de rentrer en elle-même et de se tenir éveillée. Il la conserve
il en prépare la réparation”. Ajoutant:”Aucune puissance intrinsèque n’est accordée au rite mais sans lui, l’âme ne saurait s’élever à Dieu”.
Ecole d’humilité qui rappelle à tout individu sa condition de mortel et la dimension dérisoire des choses de la vie terrestre.
Dans la partie chantée en choeur, l’homme juif se met à nu et expose ses sentiments surtout dans la cantilation des Psaumes, véritables poèmes qui expriment amour-crainte ou supplication vis-à-vis de son Créateur dans un élan du coeur et de l’âme, qui procure apaisement et réconfort. L’un des plus beau, Ashré Yoshbé Bétékha ( avec en acrostiche l’alphabet hébraïque ) est chanté, deux fois le matin et une fois l’après-midi. Mélodies anciennes ou nouvelles qui puisent de plus en plus dans le répertoire israélien, familier à la plupart.
Rôle fédérateur du chant.
L’ORGANISATION
Chaque juif croyant se doit, trois fois par jour, d’arrêter le temps et de se désaliéner de son quotidien, pour consacrer quelques minutes à ce dialogue singulier avec le Ciel. Individuellement, chez soi ou collectivement, avec 10 personnes adultes au minimum; c’est à dire un groupe de personnes qui ne se réduise pas à n’être qu’une simple agrégation d’individualités; avec dix, on passe du chiffre au nombre. Dans une synagogue ou un oratoire, on lit ( c’est donc plus qu’une récitation ) le texte invariant du Siddour . La tête sera couverte selon le commandement rabbinique, signe d’humilité, à l’instar des autres religions monothéistes.
Chacune des trois phases de la journée aura sa spécificité liturgique et des créneaux horaires longuement débattus puis fixés par nos Maîtres.
_Prière du matin SHAHRIT ( aurore ) instituée par Abraham, selon la Tradition.
C’est la plus longue des 3 prières quotidiennes. On commence par évoquer le miracle du réveil après le sommeil ( assimilé par nos Sages à 1/60 ème de la mort ), celui de la Création du monde, le récit du sacrifice matinal tel qu’il était pratiqué le matin au Temple de Jérusalem. On s’enveloppe du Taleth en récitant la bénédiction spécifique et on enroule les Téfilines, les phylactères, autour du bras le plus lâche, gauche pour le droitier et droit pour le gaucher. Puis, on entame la prière divisée en 4 parties, la première et la dernière encadrant les parties médianes, les plus importantes, la 2ème et la 3ème qui incluent le Shemah et la Amida: j’y reviendrai plus longuement. Le lundi et le jeudi on procède à la lecture du Sefer Tora, les premiers passages de la Paracha de la semaine, chapitre du Pentateuque, celle-ci étant lue entièrement à la prière du shabbat qui suit, avec un passage des livres des prophètes scripturaires qui constitue la Haftara.
_L’après-midi c’est MINHA ( l’offrande )
Prière plus courte, sans Taleth ni Téfilines, elle comporte le rappel du cérémonial sacrificiel tel qu’il était pratiqué au Beth Hamikdash. suivi de la Amida, coeur et colonne vertébrale de la prière. Pour des raisons pratiques aisément compréhensibles, MINHA se trouve la plupart du temps, juste avant le crépuscule, couplée à Arbit .
_Le soir ARBIT ( soir ), attribuée à Jacob, comporte les deux moments clés de la prière: le Shémah et la Amida_ précédés d’une demande de dormir en paix et de se réveiller en paix_ dans un contenu beaucoup plus court que Shaharit, la prière du matin.
A présent, et avant de scruter plus largement les passages importants, une digression à laquelle je ne résiste jamais.
Débat classique entre docteurs du Talmud: à quel moment devait-on commencer la prière du matin ?
Les montres n’ornant pas encore les poignets et les horloges ne décorant pas les murs aux premiers siècles de notre calendrier, chacun allait de sa proposition:
_Aux premières lueurs du jour ? Au son du coq qui chante? A l’instant où l’on peut distinguer le vert-couleur du bleu?. Finalement on retiendra la belle proposition de l’un: ce sera au moment où on pourra reconnaitre le visage d’un homme à la distance de quatre coudées. Ainsi donc, dira Emmanuel Lévinas, “le service de Dieu dépendrait et serait lié à la présence de l’Autre dans mon voisinage, dans ma conscience. Dimension éthique du judaïsme sans laquelle aucune adresse à Dieu ne sera recevable”. Attestée d’ailleurs par une phrase récitée au début de Shahrit , mais souvent négligée: “Me voici assumant l’ordre: Tu aimeras ton prochain comme toi-même; j’aime donc chacun des enfants d’Israël de toute mon âme et de tout mon pouvoir. Je dispose ma bouche à prier devant le Roi des rois des rois, le Saint-Béni soit-il “
LE COEUR DE LA PRIERE.
Sa lecture qui peut sembler comme une répétition fastidieuse d’un texte immuable, se révèle beaucoup plus profonde et plus féconde que l’on pourrait penser à priori.
Ceux qui lisent et comprennent l’hébreu seront, bien entendu, privilégiés car ils découvrent les richesses immenses et jamais épuisées de textes vieux, pour la plupart, de 2400 ans. Empreints d’une ferveur et d’une sagesse infinies, ils véhiculent un savoir et un vécu imprégnés d’une foi inébranlable. Le fidèle qui n’a pas la possibilité d’en comprendre le sens, lira la traduction de plus en plus présente dans les livres de prière ou se retrouvera dans une attitude de recueillement devant l’Infini et d’humilité propice à une introspection et à un q___uestionnement intérieur jamais inutile. Avec une présence sur les bancs de la synagogue qui ratifie, à elle seule, son appartenance à une communauté religieuse et au-delà.
Le SHEMAH et la AMIDA ( deuxième et troisième partie de la prière du matin et du soir ) constituent donc les deux grands axes de la Téfila . Léhitpalel, prier, veut dire également se juger. Leur solennité est mise en exergue par des passages qui les anticipent, qui les préparent. Leur contenu sera_vous vous en doutez_ l’objet d’une attention particulière de la part des Docteurs du Talmud qui les entoureront pour leur application, de règles strictes consignées dans le Shoulhan Aroukh et autres traités de Halakha.
Le SHEMAH ( récité matin et soir ) est identifié à la profession de foi du juif croyant.
Il commence par “ Ecoute Israël, Hachem est notre Dieu, Hachem est Un”. Suivent 3 chapitres de la Tora ( Deutèronome 6 et 11 suivis de Nombres 15 ) . Paroles de Hachem ( le nom ) exaltant notre relation d’amour-crainte à Lui et mettant en garde contre toute déviation du chemin tracé. Elles soulignent les deux Mitsvot ( commandements ) à réaliser le matin: des Téfilines et du Taleth (que certains, plus pieux, porteront toute la journée sous la forme du Taleth Katane, le petit Taleth.) Le Shemah Israël lu à voix haute ( il n y a d’écoute que si on entend ce qui est dit ) est une invitation à proclamer avec la plus grande concentration l’Unité de Dieu. Unité plus que l’Unicité qui affirme qu’il n’y a aucune énergie, aucune force qui ne soit incluse dans son projet et qui puisse échapper à sa volonté. ( les chrétiens admettent eux la Trinité )
Cette profession de foi est prononcée à voix haute les yeux fermés et obturés par la main droite: elle est sans regard car elle est vision du Gan Eden et exaltation du Nom divin double et unifié:
ELOHIM qui véhicule ses attributs de justice dans sa dimension de rigueur le Din.
YHVH , le Tétragramme, mystérieux et imprononçable qu’on lit Adonaï ( mon maître ) et qui fait entrevoir, à l’homme juif, sa composante de Hessed , la grâce.
_Ecoute Israël insiste sur la dimension de l’écoute qui cherche à faire installer l’Autre dans l’instant de la rencontre pour qu’il puisse exister, pour qu’il se sente présent.
_Ce sont aussi les enfants de Jacob-Israël qui, s’adressant à leur père, quelques instants avant sa mort:
“écoute Israël-Jacob notre père: Celui qui est notre Dieu à tous, toutes les tribus, c’est le même Dieu”.
Adhésion et affirmation d’appartenance à la même foi que nos Pères.
_C’est Moïse également qui s’adresse au peuple hébreu:”Prends garde ( Shéma) Israël, Celui qui est notre Dieu, à toi Israël et à moi Moïse, c’est le même Dieu.”
Commentaire de Rachi ( 11ème siècle): à la fin des temps, ce sont les nations du monde qui s’adresseront à Israël dans ces termes: “ Ecoute Israël; maintenant, nous savons que Hachem et notre Dieu , c’est le Même”.
La lecture du Shémah, paroles du Dieu d’Israël, établissant les termes de l’Alliance conclue avec son peuple, ne doit pas être interrompue ou perturbée par des paroles contingentes ou intempestives qui viendraient déranger la solennité de l’instant. Solennité qui empreint également la lecture de la Amida lue, en silence, dans le murmure des lèvres et qu’on ne doit interrompre sous aucun prétexte
C’est le temps fort de la prière, le moment le plus intense.
La AMIDA , troisième partie de la prière se lit en position debout, dirigé vers l’est en direction du Beth
Hamikdash à Jérusalem. Dans le langage de la Bible, c’est la posture du serviteur. Debout, je fais partie de l’entourage de Dieu, la famille d’En-Haut. D’ailleurs, je reste les pieds joints, pour ressembler à la posture des anges immobiles et pourvus d’un seul membre inférieur ( comme les décrit le prophète Ezekhiel). Debout, je me mets en situation d’être jugé. On s’adresse au Ciel dans une introspection salutaire qui invite à l’humilité et nous fait mesurer la vanité des choses. Dieu est notre interlocuteur direct et unique. On se trouve dans un état de saisissement, mélange de crainte, de vénération et d’amour devant la “Présence absente”.
Cette situation a été comparée dans sa posture, à une audience royale: on se plie en deux en se présentant devant le trône, on fait trois pas en arrière en prenant congé, à la fin; je ne me retourne pas mais je marche en reculant.
La AMIDA est aussi appelée Bakacha ( supplication ) ou Shmoné Hesré , 18 en hébreu, en référence aux dix-huit bénédictions qui s’y trouvent. En réalité, elle en comporte 19; la douzième ayant été ajoutée tardivement (au 1er siècle) pour stigmatiser tous les déviants et autres sectateurs qui foisonnaient au sein de la nation juive, en ces temps troubles d’occupation romaine.
Elle est structurée en trois grands paliers.
_Le premier, en guise d’introduction et de prélude, contient trois bénédictions. Je rappelle qu’une bénédiction doit, pour mériter cette appellation, comporter obligatoirement la phrase: Baroukh Ata Adonaï , loué sois-tu Eternel. En été, on sollicitera la rosée; en hiver on louera celui qui fait souffler le vent et fait tomber la pluie.
L’orant s’y présente en se prévalant de ses prestigieux ascendants Abraham, Isaac et Jacob “ qui sont en moi quand je m’adresse au Ciel” et proclame aussi la grandeur divine à travers la Kéddoucha.
La Kédoucha , sanctification de Dieu dans la séparation, est lue ( en partie en araméen ) en choeur et à voix haute pour souligner sa dimension de proclamation (seul passage de la Amida à avoir ce privilège ). C’est un montage de textes bibliques: un verset d’Isaïe pour la transcendance; un verset d’Ezéchiel pour l’immanence et une phrase des psaumes qui conclut la triade. La Kédoucha, la sainteté est une notion importante dans le judaïsme et même un commandement: “Soyez saints car Je suis Saint”. C’est un horizon auquel le juif doit tendre pour essayer d’appréhender la proximité de Dieu, le “connaître Dieu” comme on a pu le résumer trop facilement. nous entrons là dans le domaine de la Kabbale, la mystique juive.
_la deuxième partie, noyau dur de la Amida s’articule autour de 12 bénédictions (13 avec la surajoutée) qui prennent la forme de requêtes ( de santé, de justice, d’abondance, de retour à Sion…).
Elles concernent la vie intérieure, la connaissance, la sagesse, le pardon et une connotation eschatologique qui englobe toute l’humanité, et se terminent par une supplique: Shémah Kolénou , Ecoute notre voix. La 9ème sera plus ou moins longue en fonction de la saison, hiver ou été et trois évocations y sont intégrées le premier jour de chaque mois hébraïque ou lors des fêtes de Hanouka ou Pourim. Ce qui souligne le rapport très privilégié que le judaïsme entretient avec le Temps.
Il est habituel d’adresser à la fin de la AMIDA des requêtes personnelles et ou familiales avant de prendre congé.
-La troisième phase inclut 3 bénédictions. La 18ème Modim Anahnou Lakh ( nous reconnaissons humblement, nous sommes d’accord avec Toi) est spécifique. On n’adresse à Dieu aucune requête sinon qu’on s’incline ( physiquement aussi ) pour réaffirmer notre attachement, nous pauvres humains, à notre Dieu dans sa grandeur et sa miséricorde. Nous remercions l’Et___ernel pour être à l’écoute de l’homme, pour lui avoir donné la vie et la préserver tout au long de l’existence et pour le remercier des multiples dons spirituels et matériels qu’il a dispensés et qui font que “vivre c’est davantage qu’exister”. La 19ème, quant à elle, est une demande de paix et de bonheur, preuve s’il en fallait de la dimension universaliste du judaïsme.
L’importance de la AMIDA et sa place centrale dans la prière, est soulignée, à nouveau, à travers la répétition de son texte par le Shaliah Tsibbour ( littéralement l’envoyé de l’assemblée), le ministre officiant (auquel n’importe quel fidèle peut se substituer) pour mieux s’assurer que tout le monde, parmi les présents, s’en est correctement acquitté.
Des Tahanounim supplications suivent immédiatement les prières de SHAHARIT et de MINHA et un passage fortement connoté de sainteté va suivre la AMIDA du matin, la Kédoucha Déssidra.
Autour de ces deux grands axes que constituent le SHEMAH et la AMIDA , viennent s’articuler divers textes dont plusieurs psaumes les Téhilim ( le matin, chaque jour de la semaine aura son psaume spécifique ) qui ont vocation de louange mais aussi une fonction de réconfort par leur contenu et leur prosodie.
Les prières du Shabbat et des fêtes ont la même structure avec plusieurs passages chantés. Si le SHEMAH est invariant ( ce sont les paroles de Dieu tirées de la Bible) la AMIDA sera adaptée à la fête. Un Moussaf est ajouté ( Amida supplémentaire) correspondant au sacrifice supplémentaire commandé par la Texte et accompli au Beth Hamikdash.
La quasi-totalité de ces passages n’a pas d’auteur attesté, car aux temps de leur rédaction, le contenu des textes était infiniment plus important que le nom de leur auteur; l’anonymat n’était donnc pas un problème. On ne peut pas en dire autant du monde hyper-médiatisé d’aujourd’hui.
Nos prières sont prononcées dans un esprit collectif mais il y a toujours un moment où le fidèle se sent davantage concerné individuellement par tel ou tel passage; on passe alors du “bénis pour nous” au “bénis pour moi”. Cela dit, en priant pour la collectivité ( le salut, dans une perspective juive du monde à venir, est nécessairement collectif, à la différence du monde chrétien ), on établit des liens de solidarité, d’unité entre individus différents. Certaines bénédictions concernent d’ailleurs toute l’humanité. D’ailleurs, un Minyane, le nombre minimal de 10 personnes adultes ( référence au généreux marchandage d’ Abraham intercédant auprès de Dieu, pour le salut des habitants de Sodome ) est requis afin que la prière soit mieux agréée et surtout pour faire en sorte que le Kaddich puisse être prononcé.
Le Kaddich est une exaltation du nom de Dieu, prononcé en araméen, langue vernaculaire mais en même temps ésotérique, avec une connotation, fortement eschatologique qui fait entrevoir les temps futurs relativisant ainsi notre existence ici-bas. Lu par le ministre-officiant, il scande les différentes parties de la prière. Il ne comporte aucune allusion à la mort bien que dans l’esprit du public, il reste, avec de petits aménagements du texte, l’apanage des endeuillés. Ceux-ci vont, en le récitant_au début et à la fin de la prière_ faire face au mystère de la mort ( et la sidération qu’elle entraîne) en proclamant la grandeur de Dieu ainsi que leur foi dans un monde à venir dont il nous fait la promesse.
Il faut rappeler que le Amen dont le Kahal se fait l’écho se traduit par “j’y crois” et non pas “ainsi soit-il comme cela est communément admis.
A propos des femmes et leur statuts dans le cadre de la prière, quelques rappels ( qui ont fait l’objet d’une précédente intervention plus développée:
LES FEMMES sont assignées dans la Hazara au moment de la prière.
Elles sont exemptées des commandements liés au temps comme les prières tri-quotidiennes, les Téfillines, le Omer, la Soucca. Mais elles sont tenues de suivre les autres.
De cette disparité vont découler 7 interdictions qui vont avoir la vie dure.
_lecture de la Tora en public, à la synagogue
_Récitation du Kaddish
_la Hazanout , la direction de la prière
_chanter à la synagogue, dans une chorale
_pas de présence à un enterrement
_pas de témoignage
Jacques ASSERAF
C’est peu de dire que la prière représente le moment privilégié dans l’exercice de la foi, l’expression physique et organisée du sentiment religieux. En particulier pour le judaïsme, premier des monothéismes, qui a un très fort rapport au divin.
La prière est inhérente au décalage assumé entre la créature_que nous sommes_et le Créateur que nous reconnaissons. Elle sera donc naturelle pour le juif croyant qui s’adressera à l’omnipotence de son Dieu qui lui a donné naissance. Elle sera exprimée par la parole qui atteste de la reconnaissance du Divin; le silence, privilégié par certaines croyances, n’est rien d’autre qu’un dialogue avec soi-même. De toutes façons, pour le judaïsme, la voix_ et donc la parole_ est le vecteur de la croyance. La vision reste l’apanage de l’idolâtrie qui privilégie l’image et nous savons que l’idole est dénuée de parole. Conscient de sa précarité, l’homme juif va, dans un élan du coeur, s’adresser au Ciel; dans un mouvement de bas en haut empreint de déférence et de vénération, mélange de crainte et d’amour. Dans un langage anthropomorphique, seul accessible à l’intelligence humaine. Devant une “___Présence absente” qui caractérise l’approche juive dans sa relation sans intermédiaire avec Hachem le Nom ( imprononçable et mystérieux ).
La prière constitue la colonne vertébrale de la vie juive; c’est l’instant réservé au dialogue avec la Transcendance et l’occasion d’une introspection existentielle et morale de l’individu juif. Elle rythme la journée du croyant_ qui se soumet, à cette occasion, à une pause dans le tintamare de la vie_ et s’organise dans trois rendez-vous quotidiens: le matin pour SHAHRIT, l’après-midi pour MINHA et le soir ARBIT.
LES ORIGINES
On voit déjà dans la Bible, Abraham, le premier des patriarches ( -1950 ) implorer Dieu, dans une prière, en faveur des habitants de Sodome, coupables de transgresser les principes moraux que l’humanité, depuis Noé, avait décidé d’intégrer dans sa conscience et sa conduite. Plus tard, Moïse (-1400) passe son temps à intercéder auprès du Ciel, pour le peuple hébreu sorti d’Egypte et maintes fois égaré dans sa confiance vis-à-vis d’un Dieu qui venait de le libérer du joug pharaonique. Au temps des Juges ( -1000 ), Hanna, future prophétesse ( la tradition en compte 7 ) mère de Samuel, prophète du livre éponyme, nous donne même le modèle de la prière quand seules ses lèvres murmurent les mots qu’elle adresse à Dieu, dans un élan pathétique inédit, pour mettre fin à sa stérilité.
La dimension collective, et plus ou moins organisée, de la prière se manifestera à l’époque du second Temple ( du 5ème siècle avant notre ère au premier siècle de l’ère vulgaire ). Les habitants de la terre d’Israël qui se trouvaient éloignés de Jérusalem et les autres juifs dispersés tout autour, se trouvaient dans l’impossibilité de réaliser le pèlerinage tri-annuel de Pessah, Shavouot et Soukkot. Chaque citoyen était invité ( injonction divine ) à apporter des offrandes, fruits de la terre et à assister aux sacrifices d’animaux organisés dans le parvis du Temple. On sait que le mot Korban ( sacrifice ) se traduit également par rapprochement et proximité; avec l’En-Haut certes mais aussi avec l’Autre, proche ou lointain qu’on retrouvait à ces occasions.
Et dans le traité talmudique Taanit, on rapporte l’inquiétude d’Abraham qui demanda à Dieu : “Souverain du monde, ces sacrifices suffiront tant que durera le Temple mais lorsqu’il aura disparu que deviendra ma descendance ? Et le Seigneur lui répondit “mon fils, j’ai fait à leur intention l’ordre des sacrifices. Chaque fois qu’ils le liront, ce sera pour moi comme s’ils m’offraient leurs sacrifices et je leur pardonnerai toutes leurs fautes”.
Déjà, la Knesset Haggédola la Grande Assemblée_ l’instance dirigeante de l’Israël d’alors qui était une théocratie_ avait élaboré les textes des deux composantes incontournables de la prière: le Shémah Israël et la Amida. Nous sommes entre le 5ème et le deuxième siècle avant l’ère vulgaire.
Plus tard, le contenu en fut étoffé et structuré par les Maîtres et les Docteurs du Talmud ( du 2ème au 5ème siècle de notre ère ) sous l’impulsion des disciples de Rabbi Yohannan Ben Zakaï.
Ces travaux aboutissent à la production du livre de prières le Siddour ( littéralement l’organisé ), quasi identique à celui que nous avons, aujourd’hui, entre les mains et qui est commun à toutes les synagogues_ de par le monde, hormis quelques modifications marginales propres à telle ou telle communauté d’origine. Le traité Bérakhot du Talmud en donne les grandes lignes qui, plus tard, seront formalisées par Maïmonide ( 11ème siècle ) puis dans le chapitre Or Hahaïm du Shoulhan Aroukh de Joseph Caro ( 16 ème siècle ). Décision ô combien importante, pour sauvegarder l’unité du peuple juif
qui venait de perdre le Temple de Jérusalem, son monument national détruit par les Romains en l’an 70 et qui allait connaître les affres du déracinement et de la dispersion; dangers mortels pour son existence de peuple. Avec l’étude de la Tora et la prière ordonnée à tout juif, l’essence du judaïsme, son identité profonde et donc sa pérennité, étaient ainsi assurées.
“La prière que l’homme entreprend_ parce qu’il le doit et non parce qu’il est poussé par ses sentiments et ses besoins_ constitue l’acceptation du joug du Créateur, le joug de la Tora et des préceptes” dira au XXème siècle, Yéshahyahou Leibovitch. Il ajoute:” la signification de la prière n’est pas une demande pour que Dieu modifie le cours de Son monde pour le bien de celui qui prie, mais elle est l’acte d’attachement à Dieu par le fait de le servir sans lien aucun avec ce qui se produit dans la réalité naturelle”. Approche radicale, semble-t-il, contestée par certains penseurs. Ceux-ci considèrent que la demande, afin que soient agréés certains besoins, est légitime et licite dès lors que ces sollicitations ne peuvent aboutir par l’effort personnel ( demande de guérison, de pluie…..).
Il reste que la prière, halte et pause dans le vacarme aliénant du quotidien, moment soustrait à notre vitalité de fauve, est une obligation rabbinique. En scandant notre journée, elle nous évite de nous retrouver seuls livrés à nous-mêmes, source d’angoisse ou de griserie sur son égo. Elle nous relie, ( religion =ce qui relie) l’espace de quelques instants au monde de l’Infini et de la Transcendance, à l’Invisible qui nous invite à un dépassement de notre condition. A nous faire prendre conscience de notre précarité (le mot prière vient de la racine latine precare ), de notre finitude.
Le RITE, c’est à dire l’ensemble cérémonial et gestuel qui accompagne le texte est fondamental. “Complexe et multiforme, il oblige à prendre conscience du fait que tout ce que nous faisons a une valeur, que rien n’est sans importance”.
Pour sa réalisation, le Rite passe par le corps qui peut ainsi devenir un lieu d’exercice vers le divin, une marque emblématique d’alliance. Il habille toute expression religieuse dans la vie du juif.
Faire participer le corps en s’enveloppant du Taleth , en se prosternant, en écartant ses deux mains etc.. confère à nos paroles plus de force et de prégnance à nos invocations ou à nos demandes. On a dit du judaïsme que c’est une orthopraxie ( privilégiant le “faire”, on dit de quelqu’un respectueux des lois religieuses, qu”il pratique”), quand le christianisme serait une orthodoxie exaltant la Parole séparée de l’acte.
“D’origine communautaire, loi et commandement, le rite, dira Lévinas, n’est pas du tout extérieur à la conscience; il la conditionne, il lui permet de rentrer en elle-même et de se tenir éveillée. Il la conserve
il en prépare la réparation”. Ajoutant:”Aucune puissance intrinsèque n’est accordée au rite mais sans lui, l’âme ne saurait s’élever à Dieu”.
Ecole d’humilité qui rappelle à tout individu sa condition de mortel et la dimension dérisoire des choses de la vie terrestre.
Dans la partie chantée en choeur, l’homme juif se met à nu et expose ses sentiments surtout dans la cantilation des Psaumes, véritables poèmes qui expriment amour-crainte ou supplication vis-à-vis de son Créateur dans un élan du coeur et de l’âme, qui procure apaisement et réconfort. L’un des plus beau, Ashré Yoshbé Bétékha ( avec en acrostiche l’alphabet hébraïque ) est chanté, deux fois le matin et une fois l’après-midi. Mélodies anciennes ou nouvelles qui puisent de plus en plus dans le répertoire israélien, familier à la plupart.
Rôle fédérateur du chant.
L’ORGANISATION
Chaque juif croyant se doit, trois fois par jour, d’arrêter le temps et de se désaliéner de son quotidien, pour consacrer quelques minutes à ce dialogue singulier avec le Ciel. Individuellement, chez soi ou collectivement, avec 10 personnes adultes au minimum; c’est à dire un groupe de personnes qui ne se réduise pas à n’être qu’une simple agrégation d’individualités; avec dix, on passe du chiffre au nombre. Dans une synagogue ou un oratoire, on lit ( c’est donc plus qu’une récitation ) le texte invariant du Siddour . La tête sera couverte selon le commandement rabbinique, signe d’humilité, à l’instar des autres religions monothéistes.
Chacune des trois phases de la journée aura sa spécificité liturgique et des créneaux horaires longuement débattus puis fixés par nos Maîtres.
_Prière du matin SHAHRIT ( aurore ) instituée par Abraham, selon la Tradition.
C’est la plus longue des 3 prières quotidiennes. On commence par évoquer le miracle du réveil après le sommeil ( assimilé par nos Sages à 1/60 ème de la mort ), celui de la Création du monde, le récit du sacrifice matinal tel qu’il était pratiqué le matin au Temple de Jérusalem. On s’enveloppe du Taleth en récitant la bénédiction spécifique et on enroule les Téfilines, les phylactères, autour du bras le plus lâche, gauche pour le droitier et droit pour le gaucher. Puis, on entame la prière divisée en 4 parties, la première et la dernière encadrant les parties médianes, les plus importantes, la 2ème et la 3ème qui incluent le Shemah et la Amida: j’y reviendrai plus longuement. Le lundi et le jeudi on procède à la lecture du Sefer Tora, les premiers passages de la Paracha de la semaine, chapitre du Pentateuque, celle-ci étant lue entièrement à la prière du shabbat qui suit, avec un passage des livres des prophètes scripturaires qui constitue la Haftara.
_L’après-midi c’est MINHA ( l’offrande )
Prière plus courte, sans Taleth ni Téfilines, elle comporte le rappel du cérémonial sacrificiel tel qu’il était pratiqué au Beth Hamikdash. suivi de la Amida, coeur et colonne vertébrale de la prière. Pour des raisons pratiques aisément compréhensibles, MINHA se trouve la plupart du temps, juste avant le crépuscule, couplée à Arbit .
_Le soir ARBIT ( soir ), attribuée à Jacob, comporte les deux moments clés de la prière: le Shémah et la Amida_ précédés d’une demande de dormir en paix et de se réveiller en paix_ dans un contenu beaucoup plus court que Shaharit, la prière du matin.
A présent, et avant de scruter plus largement les passages importants, une digression à laquelle je ne résiste jamais.
Débat classique entre docteurs du Talmud: à quel moment devait-on commencer la prière du matin ?
Les montres n’ornant pas encore les poignets et les horloges ne décorant pas les murs aux premiers siècles de notre calendrier, chacun allait de sa proposition:
_Aux premières lueurs du jour ? Au son du coq qui chante? A l’instant où l’on peut distinguer le vert-couleur du bleu?. Finalement on retiendra la belle proposition de l’un: ce sera au moment où on pourra reconnaitre le visage d’un homme à la distance de quatre coudées. Ainsi donc, dira Emmanuel Lévinas, “le service de Dieu dépendrait et serait lié à la présence de l’Autre dans mon voisinage, dans ma conscience. Dimension éthique du judaïsme sans laquelle aucune adresse à Dieu ne sera recevable”. Attestée d’ailleurs par une phrase récitée au début de Shahrit , mais souvent négligée: “Me voici assumant l’ordre: Tu aimeras ton prochain comme toi-même; j’aime donc chacun des enfants d’Israël de toute mon âme et de tout mon pouvoir. Je dispose ma bouche à prier devant le Roi des rois des rois, le Saint-Béni soit-il “
LE COEUR DE LA PRIERE.
Sa lecture qui peut sembler comme une répétition fastidieuse d’un texte immuable, se révèle beaucoup plus profonde et plus féconde que l’on pourrait penser à priori.
Ceux qui lisent et comprennent l’hébreu seront, bien entendu, privilégiés car ils découvrent les richesses immenses et jamais épuisées de textes vieux, pour la plupart, de 2400 ans. Empreints d’une ferveur et d’une sagesse infinies, ils véhiculent un savoir et un vécu imprégnés d’une foi inébranlable. Le fidèle qui n’a pas la possibilité d’en comprendre le sens, lira la traduction de plus en plus présente dans les livres de prière ou se retrouvera dans une attitude de recueillement devant l’Infini et d’humilité propice à une introspection et à un q___uestionnement intérieur jamais inutile. Avec une présence sur les bancs de la synagogue qui ratifie, à elle seule, son appartenance à une communauté religieuse et au-delà.
Le SHEMAH et la AMIDA ( deuxième et troisième partie de la prière du matin et du soir ) constituent donc les deux grands axes de la Téfila . Léhitpalel, prier, veut dire également se juger. Leur solennité est mise en exergue par des passages qui les anticipent, qui les préparent. Leur contenu sera_vous vous en doutez_ l’objet d’une attention particulière de la part des Docteurs du Talmud qui les entoureront pour leur application, de règles strictes consignées dans le Shoulhan Aroukh et autres traités de Halakha.
Le SHEMAH ( récité matin et soir ) est identifié à la profession de foi du juif croyant.
Il commence par “ Ecoute Israël, Hachem est notre Dieu, Hachem est Un”. Suivent 3 chapitres de la Tora ( Deutèronome 6 et 11 suivis de Nombres 15 ) . Paroles de Hachem ( le nom ) exaltant notre relation d’amour-crainte à Lui et mettant en garde contre toute déviation du chemin tracé. Elles soulignent les deux Mitsvot ( commandements ) à réaliser le matin: des Téfilines et du Taleth (que certains, plus pieux, porteront toute la journée sous la forme du Taleth Katane, le petit Taleth.) Le Shemah Israël lu à voix haute ( il n y a d’écoute que si on entend ce qui est dit ) est une invitation à proclamer avec la plus grande concentration l’Unité de Dieu. Unité plus que l’Unicité qui affirme qu’il n’y a aucune énergie, aucune force qui ne soit incluse dans son projet et qui puisse échapper à sa volonté. ( les chrétiens admettent eux la Trinité )
Cette profession de foi est prononcée à voix haute les yeux fermés et obturés par la main droite: elle est sans regard car elle est vision du Gan Eden et exaltation du Nom divin double et unifié:
ELOHIM qui véhicule ses attributs de justice dans sa dimension de rigueur le Din.
YHVH , le Tétragramme, mystérieux et imprononçable qu’on lit Adonaï ( mon maître ) et qui fait entrevoir, à l’homme juif, sa composante de Hessed , la grâce.
_Ecoute Israël insiste sur la dimension de l’écoute qui cherche à faire installer l’Autre dans l’instant de la rencontre pour qu’il puisse exister, pour qu’il se sente présent.
_Ce sont aussi les enfants de Jacob-Israël qui, s’adressant à leur père, quelques instants avant sa mort:
“écoute Israël-Jacob notre père: Celui qui est notre Dieu à tous, toutes les tribus, c’est le même Dieu”.
Adhésion et affirmation d’appartenance à la même foi que nos Pères.
_C’est Moïse également qui s’adresse au peuple hébreu:”Prends garde ( Shéma) Israël, Celui qui est notre Dieu, à toi Israël et à moi Moïse, c’est le même Dieu.”
Commentaire de Rachi ( 11ème siècle): à la fin des temps, ce sont les nations du monde qui s’adresseront à Israël dans ces termes: “ Ecoute Israël; maintenant, nous savons que Hachem et notre Dieu , c’est le Même”.
La lecture du Shémah, paroles du Dieu d’Israël, établissant les termes de l’Alliance conclue avec son peuple, ne doit pas être interrompue ou perturbée par des paroles contingentes ou intempestives qui viendraient déranger la solennité de l’instant. Solennité qui empreint également la lecture de la Amida lue, en silence, dans le murmure des lèvres et qu’on ne doit interrompre sous aucun prétexte
C’est le temps fort de la prière, le moment le plus intense.
La AMIDA , troisième partie de la prière se lit en position debout, dirigé vers l’est en direction du Beth
Hamikdash à Jérusalem. Dans le langage de la Bible, c’est la posture du serviteur. Debout, je fais partie de l’entourage de Dieu, la famille d’En-Haut. D’ailleurs, je reste les pieds joints, pour ressembler à la posture des anges immobiles et pourvus d’un seul membre inférieur ( comme les décrit le prophète Ezekhiel). Debout, je me mets en situation d’être jugé. On s’adresse au Ciel dans une introspection salutaire qui invite à l’humilité et nous fait mesurer la vanité des choses. Dieu est notre interlocuteur direct et unique. On se trouve dans un état de saisissement, mélange de crainte, de vénération et d’amour devant la “Présence absente”.
Cette situation a été comparée dans sa posture, à une audience royale: on se plie en deux en se présentant devant le trône, on fait trois pas en arrière en prenant congé, à la fin; je ne me retourne pas mais je marche en reculant.
La AMIDA est aussi appelée Bakacha ( supplication ) ou Shmoné Hesré , 18 en hébreu, en référence aux dix-huit bénédictions qui s’y trouvent. En réalité, elle en comporte 19; la douzième ayant été ajoutée tardivement (au 1er siècle) pour stigmatiser tous les déviants et autres sectateurs qui foisonnaient au sein de la nation juive, en ces temps troubles d’occupation romaine.
Elle est structurée en trois grands paliers.
_Le premier, en guise d’introduction et de prélude, contient trois bénédictions. Je rappelle qu’une bénédiction doit, pour mériter cette appellation, comporter obligatoirement la phrase: Baroukh Ata Adonaï , loué sois-tu Eternel. En été, on sollicitera la rosée; en hiver on louera celui qui fait souffler le vent et fait tomber la pluie.
L’orant s’y présente en se prévalant de ses prestigieux ascendants Abraham, Isaac et Jacob “ qui sont en moi quand je m’adresse au Ciel” et proclame aussi la grandeur divine à travers la Kéddoucha.
La Kédoucha , sanctification de Dieu dans la séparation, est lue ( en partie en araméen ) en choeur et à voix haute pour souligner sa dimension de proclamation (seul passage de la Amida à avoir ce privilège ). C’est un montage de textes bibliques: un verset d’Isaïe pour la transcendance; un verset d’Ezéchiel pour l’immanence et une phrase des psaumes qui conclut la triade. La Kédoucha, la sainteté est une notion importante dans le judaïsme et même un commandement: “Soyez saints car Je suis Saint”. C’est un horizon auquel le juif doit tendre pour essayer d’appréhender la proximité de Dieu, le “connaître Dieu” comme on a pu le résumer trop facilement. nous entrons là dans le domaine de la Kabbale, la mystique juive.
_la deuxième partie, noyau dur de la Amida s’articule autour de 12 bénédictions (13 avec la surajoutée) qui prennent la forme de requêtes ( de santé, de justice, d’abondance, de retour à Sion…).
Elles concernent la vie intérieure, la connaissance, la sagesse, le pardon et une connotation eschatologique qui englobe toute l’humanité, et se terminent par une supplique: Shémah Kolénou , Ecoute notre voix. La 9ème sera plus ou moins longue en fonction de la saison, hiver ou été et trois évocations y sont intégrées le premier jour de chaque mois hébraïque ou lors des fêtes de Hanouka ou Pourim. Ce qui souligne le rapport très privilégié que le judaïsme entretient avec le Temps.
Il est habituel d’adresser à la fin de la AMIDA des requêtes personnelles et ou familiales avant de prendre congé.
-La troisième phase inclut 3 bénédictions. La 18ème Modim Anahnou Lakh ( nous reconnaissons humblement, nous sommes d’accord avec Toi) est spécifique. On n’adresse à Dieu aucune requête sinon qu’on s’incline ( physiquement aussi ) pour réaffirmer notre attachement, nous pauvres humains, à notre Dieu dans sa grandeur et sa miséricorde. Nous remercions l’Et___ernel pour être à l’écoute de l’homme, pour lui avoir donné la vie et la préserver tout au long de l’existence et pour le remercier des multiples dons spirituels et matériels qu’il a dispensés et qui font que “vivre c’est davantage qu’exister”. La 19ème, quant à elle, est une demande de paix et de bonheur, preuve s’il en fallait de la dimension universaliste du judaïsme.
L’importance de la AMIDA et sa place centrale dans la prière, est soulignée, à nouveau, à travers la répétition de son texte par le Shaliah Tsibbour ( littéralement l’envoyé de l’assemblée), le ministre officiant (auquel n’importe quel fidèle peut se substituer) pour mieux s’assurer que tout le monde, parmi les présents, s’en est correctement acquitté.
Des Tahanounim supplications suivent immédiatement les prières de SHAHARIT et de MINHA et un passage fortement connoté de sainteté va suivre la AMIDA du matin, la Kédoucha Déssidra.
Autour de ces deux grands axes que constituent le SHEMAH et la AMIDA , viennent s’articuler divers textes dont plusieurs psaumes les Téhilim ( le matin, chaque jour de la semaine aura son psaume spécifique ) qui ont vocation de louange mais aussi une fonction de réconfort par leur contenu et leur prosodie.
Les prières du Shabbat et des fêtes ont la même structure avec plusieurs passages chantés. Si le SHEMAH est invariant ( ce sont les paroles de Dieu tirées de la Bible) la AMIDA sera adaptée à la fête. Un Moussaf est ajouté ( Amida supplémentaire) correspondant au sacrifice supplémentaire commandé par la Texte et accompli au Beth Hamikdash.
La quasi-totalité de ces passages n’a pas d’auteur attesté, car aux temps de leur rédaction, le contenu des textes était infiniment plus important que le nom de leur auteur; l’anonymat n’était donnc pas un problème. On ne peut pas en dire autant du monde hyper-médiatisé d’aujourd’hui.
Nos prières sont prononcées dans un esprit collectif mais il y a toujours un moment où le fidèle se sent davantage concerné individuellement par tel ou tel passage; on passe alors du “bénis pour nous” au “bénis pour moi”. Cela dit, en priant pour la collectivité ( le salut, dans une perspective juive du monde à venir, est nécessairement collectif, à la différence du monde chrétien ), on établit des liens de solidarité, d’unité entre individus différents. Certaines bénédictions concernent d’ailleurs toute l’humanité. D’ailleurs, un Minyane, le nombre minimal de 10 personnes adultes ( référence au généreux marchandage d’ Abraham intercédant auprès de Dieu, pour le salut des habitants de Sodome ) est requis afin que la prière soit mieux agréée et surtout pour faire en sorte que le Kaddich puisse être prononcé.
Le Kaddich est une exaltation du nom de Dieu, prononcé en araméen, langue vernaculaire mais en même temps ésotérique, avec une connotation, fortement eschatologique qui fait entrevoir les temps futurs relativisant ainsi notre existence ici-bas. Lu par le ministre-officiant, il scande les différentes parties de la prière. Il ne comporte aucune allusion à la mort bien que dans l’esprit du public, il reste, avec de petits aménagements du texte, l’apanage des endeuillés. Ceux-ci vont, en le récitant_au début et à la fin de la prière_ faire face au mystère de la mort ( et la sidération qu’elle entraîne) en proclamant la grandeur de Dieu ainsi que leur foi dans un monde à venir dont il nous fait la promesse.
Il faut rappeler que le Amen dont le Kahal se fait l’écho se traduit par “j’y crois” et non pas “ainsi soit-il comme cela est communément admis.
A propos des femmes et leur statuts dans le cadre de la prière, quelques rappels ( qui ont fait l’objet d’une précédente intervention plus développée:
LES FEMMES sont assignées dans la Hazara au moment de la prière.
Elles sont exemptées des commandements liés au temps comme les prières tri-quotidiennes, les Téfillines, le Omer, la Soucca. Mais elles sont tenues de suivre les autres.
De cette disparité vont découler 7 interdictions qui vont avoir la vie dure.
_lecture de la Tora en public, à la synagogue
_Récitation du Kaddish
_la Hazanout , la direction de la prière
_chanter à la synagogue, dans une chorale
_pas de présence à un enterrement
_pas de témoignage
Jacques ASSERAF