B'NAI B'RITH FRANCE
Bienfaisance, Amour fraternel, Harmonie. La plus ancienne association Juive humanitaire mondiale (1843)
Facebook
Twitter
Accueil
Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager

AMOUR FRATERNEL, par Cathy


Mercredi 6 Novembre 2013



Mon expérience familiale

AMOUR FRATERNEL, par Cathy
Je choisis de commencer en évoquant mon expérience familiale  d’amour fraternel. Pour vous amener à vous questionner vous-même et à partager votre vécu au cours du débat qui suivra. Cette approche d’abord personnelle sera prolongée par un éclairage psychanalytique.
 
Nous nous demanderons alors si nous pouvons transposer ces découvertes avec leurs limites - car ces deux familles ne recouvrent pas la même réalité - au sein du B'nai Brith .

La fraternité est une notion floue aux contours incertains qu’il faudra définir et comparer avec des mots de sens voisins. On retrouve cette notion dans l’histoire d’Abel et Caïn et dans les grands contes évoquant la jalousie comme Cendrillon ou l'amour et la rivalité dans ceux de Grimm.
 
Puis spontanément on pense également à la devise de la France : liberté égalité fraternité . L'histoire du droit montre alors que la fraternité 3eme terme de cette devise a été longtemps le parent pauvre par rapport aux 2 autres. Parfois absent de certaines constitutions, il a longtemps été  assimilé à la solidarité mais des penseurs contemporains comme Levinas se penchent à nouveau sur cette valeur fondamentale.

Après  un bref rappel historique de la fraternité juive et la franc maçonnerie alors prépondérante aux états unis au milieu du IXXème  siècle,

J’aborderai  l’amour fraternel au sein du BB  dans sa singularité en faisant appel au judaïsme pour voir qui est ce prochain dont il est question dans les termes de notre devise.
 
Mon expérience familiale

Ma soeur-cadette était la petite dernière qui ressemblait à mon père quand je ressemblais à ma mère. Je devais montrer l’exemple, la sagesse, la droiture, autant de précieuses valeurs que petite je n’avais  pas forcement envie d’endosser.

Cette situation constituait une forme d’amour fraternel teinté de rivalité, de jalousie,voire d’ incompréhension. Mais pour être aussi juste que possible, je me dois de moduler immédiatement cette appréciation, à savoir un immense amour pour ma sœur , indéfectible, permanent et inconditionnel.

Au fil du temps cet amour fraternel s’est bonifié car nous nous connaissons mieux, savons l’une et l’autre jusqu’où nous pouvons aller, quels sont les terrains minés et comment faire pour ne pas tomber dans ces pièges , nous n’avons plus rien à prouver l’une et l’autre et l’une à l’autre. Ainsi loin des tiraillements et rivalités de l’enfance pour obtenir plus d’amour de nos parents, pour trouver sa place dans la famille, ou pour exister comme différentes de l’autre (de même sexe c’est aussi une problématique de l’amour fraternel), notre relation est aujourd’hui apaisée. Donc l’amour fraternel évolue selon les âges de la vie et le contexte social et affectif vécu.
 
Cet amour dépend aussi de l’éducation donnée et reçue. Dans notre famille- comme dans beaucoup de familles juives- il a été le cheval de bataille de mes parents, principalement de ma mère qui  l’a prôné comme  valeur forte et fondamentale. Quand ce lien  a été en danger,  ma mère  s’est chargée de rétablir la communication rompue momentanément. Son souhait est aussi que cette relation perdure comme un gage d’une éducation réussie. 

L’AF se transforme aussi quand le contexte familial change, à l’occasion d’un mariage, d’une naissance. Il nécessite en effet d’accepter (parfois à regret ou avec du temps) que l’autre –comme nous même- ne soyons plus tout à fait comme celle gardée en souvenir. Accepter qu’elle change en l’accueillant positivement qu’elle  mûrisse, fasse des choix que l’on n'approuve pas forcément, mais respecter la vie privée de l’autre et apprendre à se manifester avec discernement, sans trop  juger.

Ce comportement produit des habitudes : se téléphoner régulièrement pour prendre des nouvelles, donner et recevoir des conseils que l’on sait par nature bienveillants, s’entraider, s’écouter et se voir aussi souvent que possible, malgré la distance.

Ainsi, éloignées géographiquement mais proches et complices sont les caractéristiques actuelles de l’amour fraternel qui nous  lient toutes les deux.
 
De passage récemment à Aix, je lui ai demandé ce que représentait pour elle cet amour fraternel. Elle m'a répondu ne s'être jamais posée la question,  que cela fait partie des non dits, de l'intime, de l'affectif, voire du tabou et qu'on le vit spontanément, sans y réfléchir. Elle finit par dire que, pour elle, c'est être là au bon moment et à la demande.
 
En tant que mère, j’ai aussi à mon tour le désir que mes enfants de 18 et 20 ans connaissent et vivent cet amour fraternel. En citant Maxime Leforestier « on choisit pas ses parents on choisit pas sa famille », Raphaël pointe immédiatement le caractère imposé et aléatoire de ce lien qui, perdurera jusqu’à la fin de leur vie. Pour lui, la qualité des relations avec son frère Maxime dépend de ce qui s’est  joué dans l’enfance et de leur différence d’âge : passant alternativement du mode« viens je te montre » à « c’est moi le plus fort ! » .

Mon  fils aîné quant à lui, me délivre des mots en vrac :  amour/ haine, construction de soi, amitié, entraide et il refuse d’en parler davantage.
 
Pour la psychanalyse ce sujet d’étude a longtemps été  délaissé  au profit des liens conjugaux et  parentaux  mais il constitue l’un des 3 grands liens de la famille. Dans le modèle psychanalytique, Freud considérait la compétition fraternelle comme une défense contre la réalité oedipienne. Dans ses livres « l’Interprétation des rêves » puis « l’Introduction à la psychanalyse », il montre que les enfants ont des désirs de mort inconscients envers leurs frères et sœurs qui se réalisent dans leurs rêves.

 Ils sont dans la rivalité, la jalousie et ces attitudes hostiles sont parfois remplacées et dépassées  ou couvertes par une autre plus tendre. Dans « Totem et tabou », l’interdiction de l’inceste est au cœur de la relation fraternelle. Le lien fraternel est aussi bien constitué de tendresse que de sexualité et il détermine les choix des futurs objets d’amour.
 
L’évolution des modèles psychanalytiques (avec Alberto Eiguer   qui est psychiatre et psychanaliste) insiste sur la dimension narcissique de l’AF « aimer son frère c’est comme s’aimer soi même » ; d'après lui, les identifications, les alliances secrètes, la transmission de la loi et l'apprentissage se développent dans le lien fraternel. D'où  l'importance pour nous d'être frères et sœurs où au delà des mots, chacun de nous va  apprendre des uns et des autres au sein de la loge, du rituel, du travail et des recherches effectués.

Jacques Lacan célèbre psychanalyste français s'est aussi intéressé à la relation fraternelle dans son ouvrage " Les complexes familiaux" ; il pointe le complexe de l'intrusion qui permet par l'intérêt ,l'amour ,la jalousie et la curiosité vis à vis du frère à la fois sosie et rival, d'ouvrir la voie à la vie sociale .

Les approches systémiques complètent cette analyse en étudiant les dynamiques de ce lien dans les familles elles mêmes. Almodovar a introduit la notion d". Expérience fraternelle " qui remplit des fonctions d'attachement, de sécurisation de ressources de suppléance parentale et enfin d'apprentissage de rôles sociaux et cognitifs."

L'approche systémique qui inclut la fratrie et la compréhension des relations fraternelles permet de déplacer le symptôme du frère à problème, dans le système familial et éviter les cercles vicieux.
 
Venons-en au  BB, quels rapports y a-t-il avec une famille classique ?
 
Les différences sont de taille  en commençant par la notion de frère et soeur qui n'est  plus liée à un  héritage génétique et socioculturel . Les familles Bb cooptent leurs membres par une enquête puis un vote pour diminuer le risque d’erreur dans le choix des postulants et réduire le risque de conflits tels ceux décrits par Freud .

Il  s’agit aussi d’une famille choisie  après une cérémonie d’initiation en fonction de buts et d’aspirations liés à des objectifs ciblés et non un partage de vie totale.

Dans une famille bb on peut être accueillis dans n'importe quelle loge en tant que frère ou soeur. De plus choisir l’AF, la B et l’H pose  le nécessaire dépassement de soi par rapport au monde profane. Dans cet espace original, préservé et ponctuel point de rivalité, de compétition entre nous, point de jugement. Le rituel doit permettre d'y parvenir en tant que garde fou et garant de la libre parole sur le fond, quand la forme est contrôlée. Dans une famille, on retrouve des rituels dont les buts sont différents.

Dans la famille BB on fait une promesse solennelle qui  instaure aussi une nouvelle alliance entre les hommes. Mais cet engagement n’est pas unilatéral. En effet, les frères de la loge prennent ce même engagement de reconnaître tout nouvel initié comme frère. Il y a donc réciprocité et, de ce fait, un droit à la fraternité au sein de la loge. Chaque impétrant à deux parrains interlocuteurs privilégiés et garant de sa bonne intégration en loge durant ce temps d’apprentissage : c’est aussi une manifestation d’AF.
 
 
En conclusion de cette 1ère partie nous venons de voir toute la complexité du lien fraternel dans ses ambivalences, ses identifications et ses différenciations . Dans une famille comme dans une loge si le mythe d'unité existe il doit aussi coexister avec d'autres  mythes fraternels comme l’autonomie. Autrement dit la fratrie peut s'aimer mais avoir des activités et des choix différents. Le rituel permet de s'enrichir des différences des uns et des autres en relativisant rivalité, compétition et jalousie.


L’amour fraternel et La fraternité : origine, sens et sens voisins

a/ L’ amour selon le dictionnaire de l’Académie Française (8ème édition) on désigne par amour « un Sentiment de vive affection pour quelqu'un ou quelque chose ». Il est souvent suivi d'un complément introduit par la préposition de et signifie : L'objet vers lequel l'amour se porte . C’est le cas de l’amour fraternel qui concerne les relations entre frères (ou entre frères et sœurs) par extension à des êtres qui se traitent en frères, comme membre d’une même famille : au sens de l’amour du prochain. Il met en cause enfin  la nature de l'amour : Amour de fraternité, comme de bienveillance c'est-à-dire un amour qui procède d'un sentiment de fraternité ou de bienveillance.
 
b/ En ce qui concerne l’origine de la fraternité :

Il vient du latin « Fraternitas » et exprime selon le dictionnaire culturel
                                                                   1/ parenté lien de sang entre frères et sœurs : lien fraternel et affectif
                                                                   2/ lien existant entre humains considéré comme membres d’une même famille. Sentiment profond de ce lien : amour du prochain.                                                  
                                                                 3/ lien particulier établissant des rapports fraternels : confraternité solidarité. Fraternité d’esprit fraternité entre les nations
Plus précisément, on peut trouver six significations à l’expression « être des frères » :
être reliés par des liens de sang, soit biologiquement (frères et sœurs)
être de la même génération
être du même milieu social
être de la même famille
être du même sexe
enfin être reliés par une appartenance à une même communauté religieuse ou initiatique, comme le BB ou les FM.
 
La définition de la fraternité fait apparaître deux sens possibles :
- sous l’angle personnel et interpersonnel, le sentiment et le devoir de fraternité ;
- sous l’angle collectif et institutionnel, les structures visant à mettre en valeur les projets d’ordre religieux, professionnel ou social.
Cherchons d’abord à distinguer la notion de fraternité de notions voisines qui lui sont parfois associées voire substituées : charité, bienveillance, justice, affection, amour, indulgence, fidélité, communion, écoute, humilité, respect des autres
 
On en trouve toutefois certaines dont les liens avec celle ci sont plus étroits  :
- l’humanité qui constitue un cadre général
- la philanthropie est perçue comme essentiellement élitiste et paternaliste contrairement à la fraternité qui vise plutôt l’égalité civile et l’aspiration à la dignité
- la solidarité qui est une notion d’ordre juridique, social et politique
- l’amitié qui résulte d’un libre choix . Elle est élective, restrictive et réversible contrairement à la fraternité qui ne doit pas reposer sur des préférences individuelles.
 «la fraternité va au delà de la charité, de la justice et de l’amitié, elle est compréhension, tolérance, altruisme, amour et dévouement “
 
c/Un peu d’histoire autour de ce mot maintenant pour montrer qu’il est d’une portée universelle. Il serait d’origine  religieuse On l’associe alors à la charité et l’amour. Il donne son nom a tout un courant de pensée partant de l’antique Israël au christianisme en passant par l’Inde (Bouddha), la Grèce (Socrate) qui  disait «  le combat pour la vérité et la justice, pour la fraternité des hommes est le plus noble des combats » ; la Chine (Confucius), jusqu'à Gandhi qui déclarait « le jour où l’amour fera place à l’envie, à la haine, à l’orgueil, le jour où chacun aidera ses semblables dans le besoin et saura en témoigner, ce jour là, l‘âge d’or sera enfin une certitude » 
 

La fraternité et la franc maçonnerie

Pour mieux comprendre la fraternité au sein du BB il nous faut la comparer à celle qui règne dans les loges maçonniques puisque nous savons que le BB a été fondé aux états unis, dans une rencontre entre la fraternité juive et la franc maçonnerie américaine.

Ce terme s’est répandu  dans les loges maçonniques. Dans leurs principes généraux il est précisé «  la FM a pour devoir d’étendre à tous les membres de l’humanité les liens fraternels qui unissent les FM sur toute la surface du globe ». Depuis des temps très anciens, les Francs-Maçons ont respecté trois principes :
 
  • ·         L'Amour Fraternel : Tout vrai Franc-Maçon doit se montrer tolérant et respectueux des opinions des autres, et se comporter avec bienveillance et compréhension envers ses semblables.
  • ·         L'Assistance Bienfaisante : Les Francs-Maçons apprennent à pratiquer la Charité et à se soucier, non seulement d'eux-mêmes, mais de l'ensemble de la société, autant par des dons charitables, que par leur implication personnelle.
  • ·         La Vérité : Les Francs-Maçons recherchent la Vérité en s'astreignant à un niveau élevé de morale, qu'ils espèrent atteindre dans leur vie même.
 
Aucune de ces valeurs n'est exclusivement maçonnique, mais toutes semblent pouvoir être universellement acceptées. Tous les véritables Franc-Maçons sont censés y adhérer et les mettre en pratique.
 

La fraternité dans le cadre de la république et de la démocratie française.


Parent pauvre de la triade liberté égalité fraternité  il est notable qu’en France la déclaration de 1789 l’ignore comme d’ailleurs les cahiers de doléance, la constitution de 1793 ou la charte de 1830.

Elle ne trouve sa place que dans la Constitution de 1848. Elle a joué un rôle de 1er  plan dans l'histoire politique et juridique française.  Nous allons voir que son déclin au profit de la solidarité au siècle dernier n'est que relatif : elle revient de nos jours avec la nécessité d'accepter et de respecter l'autre.

Dès la révolution de 1848( naissance de la 2 ème république)  la fraternité a été amplement théorisée et ajoutée à la devise républicaine. Mais son  rapport diffère de la relation  liberté / égalité. Si les deux derniers termes sont identifiables ils nous parlent de nous et peuvent être transposés en termes politiques et juridiques. En revanche  la question se posait pour la fraternité qui parle de l’autre , terme plus vague et imprécis, plus difficile à traduire  en institution et en lois. Pourtant toujours présente dans les débats d'idées visant l'évolution du droit public positif.

Mais qui est cet autre? Cet autre qui est un frère mais au nom de quoi? Au nom de qui? Qui est celui qui est le père ou qui tient lieu de père dans une origine commune?

On voit  toute la méfiance, la perplexité voire le quasi rejet de répondre à ces questions au profit d'une notion voisine qui a fleuri au siècle dernier et qui l'a supplanter pour un temps. Il s'agit du concept de solidarité  qui  correspondait à une conception scientiste et matérialiste de la société. Cette doctrine du " solidarisme" reposait sur l'idée inspirée de la biologie et des sciences sociales naissantes : dans une société  tous les hommes sont liés les uns aux autres et il fallait mener une politique de cohésion sociale nécessaire à la bonne marche de l'ensemble. Cette idéologie de la solidarité permettait à chacun d'avoir un minimum économique pour rester intégré au corps social mais ne remettait pas en question la société républicaine libérale capitaliste avec ses injustices, ses inégalités et son individualisme qui en résultaient. La solidarité ne vise pas la remise en cause des inégalités mais ne vise qu'à son atténuation.

À ce titre elle ne relève pas de la même logique que la fraternité .

La fraternité fait signe vers une société plus égalitaire où les privilèges seraient réellement abolis. Elle se pratique dans le souci de l'autre, dans son contact , elle reconnaît chaque personne comme différente c'est à dire unique mais aussi semblable chacun a vocation à être mon frère en humanité, frère d'une grande famille humaine.

Pour Bruno Mattei professeur de philosophie honoraire " il est temps de réhabiliter la fraternité et de lui donner son sens plein et entier. La fraternité s'impose avec l'homme. " dans la déclaration universelle des droits de l'homme  proclamée en 1948 suite à la barbarie de la 2 eme guerre mondiale l'article 1 rappelle l'impératif éthique majeur " les hommes doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité " elle est " un fait originel" comme le dit Levinas. La fraternité n'est pas une option mais une nécessité , un impératif qui relève d'un sacré religieux ou laïque. Elle ne peut s'imposer se décréter mais en revanche elle s'apprend dés les petites classes sur les bancs de l'école quand on apprend à faire ensemble, faire avec, et non dans l'affrontement et la compétition. (A ce sujet la ligue des droits de l’homme organise une nouvelle édition de son concours : Ecrits pour la fraternité ». Cette année le thème est « un toit pour toi un toit pour nous un toit pour eux ») Mais cela veut dire aussi pour l'éducateur parent ou enseignant de faire un travail sur soi important pour avoir une pratique fraternelle au quotidien sur tous les plans de la vie culturelle, sociétale et économique. En ce sens pour B Mattei ce concept est révolutionnaire il dit " avons nous assez de désir d'humanité pour vouloir un autre monde, un monde fraternel?" autrement dit avec Martin Luther King " ou bien nous apprendrons à vivre ensemble d'une façon fraternelle ou bien nous périrons tous comme des idiots"
 
 

L’amour fraternel dans les textes du BB au sein d’une loge et vers l’extérieur


Ce thème est présent dès la lecture des statuts et du règlement intérieur  mais aussi à chaque moment fort de la vie des loges : à l’ouverture et la clôture d’une tenue, lors d’une initiation d’un nouveau membre .

Pour bien en saisir l'importance, un petit retour historique s'impose : c'est parmi ces Juifs venus des 4 coins du monde se réfugier en Amérique pour y bâtir une  vie meilleure que le BB a vu le jour en 1843.

Tout d'abord le nom Bb en hébreu signifie fils de l'alliance, l'alliance conclue entre D. Abraham et sa descendance. Cette alliance regroupe les Juifs mais aussi les autres peuples monothéistes de tradition abrahamique cad les chrétiens et les musulmans. Les fondateurs en donnant ce nom de Bb et non B'nai Israël plus restrictif  et isolationniste car n'incluant que les descendants de Jacob selon la Bible, ont eu cette volonté d'ouverture,  de mouvement respectueux vers l'autre.

La motivation principale des fondateurs du bb est de faire face aux conditions morales épouvantables de leurs coreligionnaires dans le Nouveau Monde, avec  le risque d’assimilation et d’antisémitisme latent .  Face à la fragilité de cette communauté  risquant  de perdre son identité, cette valeur d’AF  prônée de la devise était un gage d’union, de force et de cohésion entre ces Juifs de la diaspora dont le but était de les réunir " qu'elle que soit leur façon de vivre et de définir le judaïsme."Le bénévolat, l’amour fraternel et l’harmonie sont les concepts qui relient les membres de cette loge naissante et qui ont une dimension universelle. L’amour fraternel, notion centrale des 3 termes de notre devise, a permis de réunifier d’abord ces Juifs américains là, en renforçant leur identité juive et leur cohésion .
12 hommes ont donc décidé de vaincre ce début de tour de Babel et d'unifier tous ces Juifs selon des principes allant au delà des divergences et des rivalités .

David Malkam dans l'histoire du bb dit " la compréhension mutuelle devait se substituer à la méfiance, la tolérance aux luttes intestines, la solidarité aux rivalités "." ils rêvent de réunir les juifs dans une organisation ou toutes les opinions pourraient s'exprimer librement". Depuis le bb dispose de la même constitution  " le bb à pour mission d'unir les israélites dans la promotion de leurs intérêts et de ceux de l'humanité de développer et d'élever les qualités intellectuelles et morales du peuple juif de transmettre les nobles principes de philanthropie....

En 1850 lorsque le B’nai B’rith avait seulement neuf loges, il était confronté au problème de son universalisme. Cette universalité il l’a trouvée dans la fraternité. Jusqu’où l’universalisme religieux d’un ordre juif moderne pouvait-il aller ? On voit bien que cette tension entre universel et particulier est maintenue pour ne pas  tomber dans la dispersion, l’assimilation ou la conversion. La tzedakah (la justice sociale consistant à faire des dons) est perçue comme une obligation  dans la mesure où chaque Juif doit donner, alors que l’amour fraternel et du prochain sont beaucoup plus accessibles selon les fondateurs de cette association. Le BB naissant met en avant quelque chose qui est du côté du christianisme sans qu’on soit chrétien, sans être vraiment protestant, en essayant d’être Américain tout en restant un peu Allemand, sans aimer trop les Juifs qui viennent d’Europe de l’Est et qui pratiquent la tzedakah. C’est donc très conflictuel même s’il a joué  un rôle d’intégration pour ces Juifs qui  arrivent aux états unis car il a  permis de créer du lien social en dehors du cadre religieux.

Ce qui est intéressant dans l’histoire du B’nai B’rith c’est que l’on voit apparaître une fusion entre l’identité juive et l’identité américaine dans les aspects laïc et religieux. Il n’y a pas un clivage total en réalité, pour cette raison c’est aussi un espace transitionnel. Il s’agit de s’intégrer sans s’assimiler, en restant un peu religieux tout en étant plutôt laïc.

La tâche du B’nai B’rith a été de donner une nouvelle définition de la communauté juive. En conséquence il n’est pas resté une société américaine mais est devenue une organisation transnationale, quitte à adapter ce modèle dans chaque pays. La tzedakah est remplacée par la valeur universelle de l’amour du prochain..
 
 
 
a/L’AF dans les statuts et le règlement intérieur du bb
Le BB  a pour « mission d’unir les Israélites en faveur des intérêts les plus élevés de l’h. Ils ont pour tâche d’élever le caractère moral et intellectuel de leurs coreligionnaires, d’inculquer les principes les plus pures de philanthropie d’honneur et de patriotisme, de soutenir la science et les arts, d’alléger les besoins des pauvres et des nécessiteux, de visiter et de soigner les malades, d’aller au secours des victimes de persécution et d’assister la veuve et l’orphelin et de subvenir à leurs besoins selon les principes les plus large de l’Harmonie. »
Il est  remarquable  que l’AF s’oriente en faveur de  tous les Juifs et aussi de tous ceux qui sont dans la peine, le désarroi, victimes de catastrophes. Il intervient sur les plans de la santé et du social . On remarque aussi que l’AF est un élan, un mouvement en avant vers l’autre et qu’il doit être concret et pragmatique, en se traduisant par des actes. La notion de philanthropie est mise en avant:le  grec philos qui signifie aimer (ici aimer l’humanité) et se pose alors la question du but  de cet amour fraternel tantôt dirigé exclusivement vers  nos coreligionnaires,  tantôt vers l’humanité tout entière. Oscillation entre le particulier et l’universel déjà mentionné.
 
Plus loin l’article deux régule l’AF entre frères et sœurs d’une loge : « les frères doivent entretenir entre eux des rapports empreints d’une franche et sincère cordialité, vivre en parfaite harmonie et professer les uns pour les autres des sentiments d’estime et d’affection. » Là encore la notion d’AF n’est pas explicite mais on s’en rapproche par l’évocation de sentiments positifs – estime affection cordialité-
des uns envers les autres, base nécessaire (mais non suffisante ) pour travailler ensemble. En effet c’est par ce travail  effectué en loge qu'une meilleure connaissance des uns et des autres permettra de tisser au fil des ans cette fraternité tant souhaitée et vers laquelle nous tendons tous .
 
b/ Lors de l’ouverture d’une tenue et l’allumage de la Menorah
1/ Tout d’abord avec les paroles du vice président « Pour mettre en pratique les principes de notre ordre en demeurant fidèle à notre devise : B AF H. »
 On remarque que l’AF est au centre de la devise, elle dépend des deux autres termes qui en sont la conséquence. Ces trois termes sont symbolisés par les 3 doigts de la main droite laissés visibles lors de la prise de parole. L’AF est symbolisé par le majeur, doigt le plus long de la main au milieu des 2 autres visibles. Toujours sur la forme il est recommandé de garder un  «  ton toujours calme, fraternel, cordial quel que soit l’opinion qu’on veuille émettre ou contre dire ». L’amour fraternel est guidé par ce protocole  encadrant strictement la parole pour la canaliser en permettant sur le fond toutes les expressions de sensibilités différentes.
Ainsi l'AF fait partie de notre devise autrement dit de notre mot d’ordre, c’est un élément central de la pensée du BB. Il constitue un  des principes de notre ordre, donc des règles morales de notre mouvement  et permet de le rendre pratique c'est-à-dire de pouvoir le décliner dans la vie quotidienne profane et lors des tenues.
Plus loin il est mentionné que « La fraternité est la plus noble des obligations sociales comme il est écrit : tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Justement qui est ce prochain  « tu aimeras ton prochain comme toi même et D plus que tout au monde”. 
Eliane Amado Levy Valensi  psychanalyste et philosophe aixoise dans  “La racine et la source” disait « Il nous semble que le judaïsme n’aime pas tant le prochain en D qu’il n’aime D à travers le prochain. » Autrui ne passe pas avant D mais il est la voie qui mène à D il est avant D dans l’ordre des étapes de l’accomplissement.”On risque moins de manquer D en choisissant l’homme”
Alors que le christianisme au nom de l’Amour choisit un D abstrait, immatériel qu’il prétend servir avec pour aboutissement guerres de religions, Inquisitions... tristes moments d’histoire. L’Agapé chrétienne est proche de la position juive mais l’amour chrétien est avant tout l’Amour de D.
Dans le judaïsme c’est une exigence quotidienne plus humaine que ce chemin vers l’autre qui devient prochain. Dans le judaïsme point de retraite hors du monde pour communier avec D  où l’autre s’estompe , mais un commandement d’aimer l’étranger comme soi même car nous avons été étranger au pays d’Egypte  Lévitique XIX,34 . “Ne pas creuser la distance d’avec celui qui souffre là est l’optique spontanée du Juif vis à vis de son prochain”. Ainsi dans la Torah l’amour du prochain c’est à la fois un membre des “enfants de ton peuple” dans “Ne te venge et  ne garde rancune aux enfants de ton peuple mais aime ton prochain comme toi même :Je suis l’Eternel “Lévitique XIX,18.
Mais aussi dans le même chapitre “ si un étranger vient séjourner avec toi dans votre pays ne le moleste point. Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous tu l’aimeras comme toi même car vous avez été étranger dans le pays d’Egypte”. L’étranger est ici celui qui séjourne chez toi c’ est le proche : autre versant de l’altérité.
Pour Rabbi Aquiba ton prochain est celui qui est comme toi soumis à la loi. C’est envers lui que la Torah demande que tu témoignes ton amour et ta sollicitude. Mais Ben Azaï en insistant sur le verset de la Genèse ( “les générations de l’homme”) inclus tous les hommes, quelle que soit leur origine.
 Il y a donc disputes entre les maîtres du Talmud quant à l’interprétation de certains textes. Rabbi Aquiba voit dans ré ékha bamitsvoth ton prochain par les commandements. Ben Azai lira dans ré ékha chaque homme descendant de l’ancêtre commun.
 Max Warschawski dans un commentaire assez récent contenu dans un livre les « Dix paroles » montre que le débat existe aussi à propos du guer traduit comme prosélyte parfois et à d’autres reprises par étranger guer tochav. Ainsi la Torah nous demande d’aimer et d’aider les Juifs et aussi les non juifs qui vivent avec nous. Il ajoute une restriction à  cette fraternité, elle ne doit  pas être unilatérale. Nous témoignons de l’amitié envers quelqu’un Juif ou non juif mais en contre partie celui ci doit envoyer en écho un signe positif d’acceptation de nos droits civiques et sociaux identiques à lui . L’autre doit me reconnaître à son tour et avoir un comportement positif à mon endroit moyennant quoi je peux proposer la fraternité. Ainsi si le guer est réduit à celui d'étranger ou de proselyte qui a accepté le judaïsme, les grands maîtres du judaïsme s’accordent à penser que ce qui est prioritaire c’est la vie de chaque être humain.
 
Pour l’illustrer examinons quelques opérations menées par le BBE, BBF à travers les actions de loges sœurs : aide à la reconstruction d’habitat et à l’envoi de médicaments et fournitures médicales pour les victimes du tsunami de l’Asie du Sud est en 2004/2005 ou lors de l’ouragan Katerina. Autre activité majeure du BB l’action contre l’antisémitisme et la haine entre les peuples.
Donc ce semblable c’est bien l’humain dans la détresse et le besoin quand il est frappé par de grandes catastrophes. Amour fraternel encore par cette opération pour mieux faire connaître Israël à des non juifs afin qu’ils se fassent une opinion personnelle loin des clichés, partis pris et poncifs des médias européens. Ces actions encore envers les personnes âgées quelle que soit leur culture ou leur foi (vidéo sur le site du BB) en améliorant leur habitat, en oeuvrant pour l’accès universel aux soins médicaux, en leur permettant de vieillir chez elles en toute sécurité.
Mais ce semblable au niveau de notre loge, ce sont  aussi les frères et sœurs juifs de notre loge,et plus largement notre communauté juive d’Aix en Provence et les juifs nécessiteux d’Israël : c'est le sens du gala de bienfaisance de Yom Haatsmaout .
 
 
2/On retrouve le verset biblique  au moment d’allumer la bougie . Nous  disons : »tu aimeras ton prochain comme toi-même » en précisant « l’AF nous recommande d’être attentif à notre prochain, d’aller vers lui et de contribuer à son épanouissement ».L’AF est alors une recommandation et on voit la place centrale de l’autre qui prend le pas sur le moi égocentré. Sortir de soi pour aller vers l’autre est une démarche volontaire. Le but cherché est crescendo :  être attentif, aller vers et contribuer à  son épanouissement . Le terme d’épanouissement est important car il vise à développer tous les possibles en cet autre, il est global et on mesure bien la difficulté de cette tache et la responsabilité qu’elle engendre pour chaque membre du BB, heureusement  le terme « contribuer » atténue un peu la portée de ce qui est demandé.
Cela rejoint la pensée de certains philosophes qui mettent l’autre au centre du moi tel Levinas. Il dit dans”Hors sujet” “d’emblée l’un et l’autre c’est l’un en face de l’autre” c’est à dire être non indifférent à l’autre alors même que nous sommes tous différents et uniques. Il pose que chaque homme a pour responsabilité le sort de l’autre chaque homme doit défendre les droits de l’autre homme. l y a affirmation de la responsabilité de l’un pour l’autre . Pour Levinas droits de l’homme c’est le droit d’autrui  le droit de l’autre homme, de l’étranger dont je dois répondre.  “être le gardien de son frère ». Il soutient plus loin que la fraternité habite le psychisme sous forme de cet appel « qu’as tu fait de ton frère? ».  La fraternité prend une forme d’inquiétude constante pour l’autre face à sa fragilité elle est la source de la société avant l’égalité ou la liberté. Elle constitue pour lui l’”ordre social”.
 
Catherine Chalier –commentatrice de Levinas- dans un article intitulé “Irréductible fraternité” montre que pour Levinas “la fraternité est constitutive de chaque homme sans que cela relève d’un choix de sa part” Le moi ne peut se penser comme égoïste et indifférent à ses frères.  Lévinas s’inscrit en faux par rapport à cette idée d’une fraternité basée sur la ressemblance qui unirait l’humanité cette quête d’union et de fusion est loin de sa pensée qui vise des individualités uniques et singulières . De plus au delà de cette qualité de relation entre les hommes la fraternité vue par Lévinas aurait “ une portée par delà le lien humain lui même, elle concernerait la création dans son ensemble. Acte créateur qui fait que chaque homme est unique  et cette fraternité ne rassemble pas des semblables mais des créatures insubstituables les unes aux autres. “Levinas se réfère explicitement à l’idée de création et à l’idée de paternité divine quand il pense la fraternité. Pour lui c’est la “communauté de père” qui rassemble dans la fraternité plutôt que la communauté de genre qui ne rassemble pas assez”; Le monothéisme signifie cette parenté humaine” il consiste concrètement dans ma position de frère et il implique d’autres unicités à mes côtés” (seul l’homme a été créé selon l’unicité ; les animaux et les végétaux sont crées selon le principe du genre donc il n’y a pas de fraternité entre eux). Le point commun de toutes ces singularités différentes renvoie à une extériorité nommée “père” qui permet alors la fraternité. Pour C Challier, ce double aspect de la fraternité a des conséquences politiques et éthiques en s’opposant au racisme, au nationalisme et en prenant à rebours la devise républicaine en posant la fraternité comme source de l’égalité et de la liberté. On mesure toute la difficulté d’une telle démarche qui vise l’universel et représente un idéal, vers lequel tendre,  se rapprocher en laissant de côté nos éventuelles inimitiés, réticences et autres réserves envers l’Autre.
 

Conclusion


La corde qui unit les impétrants lors de la cérémonie d’initiation et symbolise le lien de servitude que nos pères endurèrent . Servitude remplacée par des liens fraternels qui nous unissent au sein de la loge , des loges entre elles du mouvement tout entier et au delà  ces liens unissent non seulement les fils d’Israël entre eux, mais nous unissent tous en tant que peuple de D.
 
A l’image de la corde utilisée lors de l’initiation  et qui par notre présence , notre travail souligne la force du BB et sa cohésion, ensemble nous formons un tout et l’AF représente le ciment qui solidifie le tout.
 Leo Baeck (après des études rabbiniques devient l’un des principaux chefs de file du judaïsme allemand) en 1925 s’est exprimé sur la différence des B’nai B’rith aux États-Unis et en Europe : « la seule chose en laquelle en définitive on peut croire c’est en ce que nous faisons. Si nous nous représentons un idéal, alors nous réalisons cet idéal et nous croyons en cet idéal. » Je rajouterai qu’en ce qui concerne l’idéal de l’AF valeur morale et spirituelle doit se concrétiser par des actions volontaires vers l’autre en faveur de son bien être. Tout comme le judaïsme n’est pas qu’une orthodoxie mais aussi une orthopraxie orientée vers l’autre. Ainsi la Bible est le  livre premier diffusé dans le monde entier.
Les idéaux du B’nai B’rith ont maintenu un lien social original entre Juifs, ils ont également permis à des non Juifs ou à des Juifs qui s’étaient très éloignés du judaïsme d’y trouver une place. Les enjeux aujourd’hui étant tout à fait différents depuis la création de l’État d’Israël et  les effets de la Shoah, font que le B’nai B’rith est tout à fait l’héritier de toute cette histoire qu’il doit transmettre et réinventer en travaillant ensemble avec un constant souci d’Amour Fraternel.
 









Lu 7179 fois


Dans la même rubrique :
< >

Lundi 16 Décembre 2013 - 17:13 Propos sur la fraternité

Histoire du Peuple Juif | Amour Fraternel | Livre Blanc Pour la Citoyenneté et Contre l’Antisémitisme